« Le bon sens nous dit que les choses de la terre n’existent que bien peu, et que la vraie réalité n’est que dans les rêves. » – Charles Baudelaire, « Les paradis artificiels »
Comme pour mon aventure cinématographique précédente, j’ai laissé mon instinct parler : Gael Garcia Bernal et Bérénice Béjo à l’affiche, on y va, bien sûr.
Me voilà projetée dans un autre univers (c’est ce que nous recherchons, quand nous nous installons dans ces sièges de salles obscures, être projeté dans un autre monde, laisser l’obscurité ambiante absorber notre monde habituel pour nous engloutir dans une histoire alternative), une société dystopique.
Sal (Gael Garcia Bernal) a perdu sa femme dans un accident de voiture dont il était responsable. Depuis, il vit au ralenti, avec le soutien de sa sœur (Bérénice Béjo), qui l’empêche de sombrer. Il va se voir offrir la possibilité de faire revenir son épouse à la vie, mais selon un protocole scientifique particulier : les souvenirs de celle-ci seront implantés dans un « hôte » qui ne sera pas une réplique physique de sa défunte femme ; et cette expérience est à durée limitée, le temps qu’il dise adieu à son épouse.
Il est une notation au début du film qui donne la tonalité de l’ensemble : la société « Another end » qui offre ce service à la fois ante- et post-mortem, fait sa publicité sous forme d’origami, qui avant dépliement, parle de « not here » (ajoutez les lettres a au début et nd à la fin, vous verrez que cela fonctionne. Si l’on ajoute à cela que l’origami a une forme d’oiseau, qui évoque l’envol (mais aussi la volatilité, même éthymologie), nous détenons une partie des clés ici.
Car les « Absents », ces êtres que l’on fait revivre, ne sont que temporaires et s’envoleront bientôt pour leur dernière demeure. C’est une fausse bonne idée scientifique, qui rend finalement la perte plus dure (l’être aimé est perdu deux fois). D’où sûrement cette impression d’une société mélancolique, coexistant avec ces morts qui revivent artificiellement, sans rendre les vivants plus heureux ni leur laisser la possibilité d’aller de l’avant. C’est un film sur la trace que l’on imprime pendant notre vie et qui demeurera après notre mort et de ce qu’en font (ou peuvent faire) les vivants. La scène sur le musée des souvenirs, à cet égard, est représentative et très belle.
Les décors sont au diapason, de la pluie, du brouillard, de la nuit, des espaces urbains démesurés, déshumanisés et scintillants de lumières lointaines, ou, au contraire, des no man’s land de béton en bordure des trains de banlieue (la majorité des scènes d’extérieur a été filmée à La Défense). Même les appartements sont filmés en lumières sourdes d’intérieur. Tout cela permet au cinéaste de filmer des visages (ou des personnages) qui se découpent dans la rare lumière, pour leur donner un relief inédit.
Et sur toutes ces atmosphères, va se greffer le récit (avec plusieurs fins à suspense) de cette histoire d’amour qui n’en finit pas de revivre de ses cendres, comme la fulgurance des sentiments qui viendrait transpercer cet univers froid. Poésie nocturne, qui rappelle « Blade runner » pour les atmosphères sombres et l’amour absolu.
Gael Garcia Bernal est magnifique, dans ses yeux passe toute la palette des émotions qui l’étreignent, homme fragilisé par la perte, hanté par la peur, qui passe de la fermeture à l’espoir. Saluons également les performances de Bérénice Béjo et de Renate Reinsve, qui incarne la pseudo-épouse.
C’est un film qui oscille entre froideur de l’environnement et sensualité des sentiments.
J’ai beaucoup aimé.
FB

Un film que je découvre à travers cette belle chronique. Un film qu’on appelait autrefois « d’anticipation », pas si éloigné de nous, légèrement teinté de Science-fiction. Le cinéma comme la littérature sont là pour nous amener à réfléchir sur ces fausses bonnes idées offertes par la science pour conjurer ou adoucir la mort. Cela me renvoie au souvenir des « Linceuls » de Cronenberg, mais visiblement en plus réussi.
Merci du conseil 🙏