Tomber sept fois, se relever huit (proverbe traditionnel japonais)
En 2015, un journaliste japonais très haut placé entraîne une jeune collègue dans une chambre d’hôtel, après l’avoir droguée, et abuse d’elle (viol avec violence) ; ce qui n’aurait pu être qu’un fait divers (horrible) entre autres, va prendre une tournure politique tout à fait inédite.
La jeune femme en question, c’est Shiori Ito, la réalisatrice, nous sommes dans un « auto-documentaire », en forme à la fois de manifeste et de chemin de guérison.
J’avoue avoir pris plusieurs claques en regardant ce film, qui dépasse largement son cadre de départ.
Il y a tout d’abord une plongée en profondeur dans ce Japon patriarcal, nous savions que c’est un pays très conservateur, où les femmes peinent encore à trouver une place à égalité avec les hommes, mais ici cela atteint des niveaux insoupçonnés. C’est un véritable combat que cette femme doit mener contre tous, y compris ceux dont elle aurait pu espérer un soutien. Ainsi, la police qui refuse de prendre sa plainte pendant plus d’un mois, qui l’oblige à reconstituer la scène sur une poupée gonflable… Ou encore l’opinion publique, par exemple cette femme qui l’accuse de dévergondage parce que son chemisier était trop ouvert pendant une conférence de presse. Et enfin sa propre famille, son père se plaignant du fait qu’elle aurait pu avoir une belle vie, se marier… (sous-entendu : si elle ne faisait pas tant d’histoire autour de ce viol). J’ai admiré son courage, impressionnée par sa force mentale – elle ne craquera qu’une fois dans le film. Nous mesurons aussi combien l’aile du mouvement « Me too » (lancé en 2006), qui a profondément révolutionné nos modes de pensées occidentaux sur les relations hommes/femmes, n’a pas encore frôlé le Japon. Les femmes victimes de viol en sont encore à ne pas porter plainte ou à le faire de manière anonyme.
Si cette femme se lance dans cette bataille, c’est aussi en raison de l’identité de son violeur : de victime, elle se dédouble en la journaliste qu’elle est, pour mener l’enquête que les autorités lui refusent et ne pas perdre pied. Car son bourreau est un journaliste très connu, Yamaguchi, proche du Premier Ministre de l’époque, Shinzo Abe (c’est notamment son biographe). Si vous ajoutez ces faits au silence assourdissant qui entoure les faits de viol dans le pays, vous ne vous étonnerez pas d’assister à un vrai chemin de croix. Sa vie va devenir un enfer, enquêteur muté pour avoir voulu agir, plainte en retour de l’auteur du viol pour diffamation, avec demande de dommages et intérêts exorbitants. Elle tiendra bon pendant sept ans, jusqu’à obtenir justice de la part de la Cour Suprême de Justice en 2022 (comme par hasard, le lendemain de la mort de Shinzo Abe…). La simple histoire de crime sexuel prend des allures de thriller politique. Elle a écrit un livre au titre éponyme de celui du film, comme une libération qui la protège en même temps.
C’est une vraie héroïne au courage brut et entier qui nous est présentée ici, qui plus est discrète ; même si le film parle d’elle en permanence, elle ne se met pas en avant, jamais elle ne dramatise son propos pour nous tirer des larmes. Et avec un sens précis de la mise en scène, elle nous invite à suivre avec elle le cours de ce récit haletant et bouleversant.
Chapeau bas, mademoiselle Shiori ITO.
FB
