Cinéma – Steven SPIELBERG : Duel (1972)

Voilà un film devenu culte, c’est le premier opus (enfin presque) réalisé par Steven Spielberg à l’âge de 25 ans, avant qu’il ne connaisse la gloire et la possibilité de réaliser des films à gros budget. Il nous livre ici une œuvre resserrée et courte, réalisée avec peu de moyens, ce qui lui donne une force incroyable.

Un représentant de commerce, David Mann (Dennis Weaver, formidable), prend la route un matin, au volant de sa Plymouth Valiant pour traverser le désert californien, afin de se rendre à un rendez-vous d’affaires. Il fait beau, il est dans les temps, tout semble se passer pour le mieux, jusqu’à ce qu’il rencontre un poids-lourd, qui s’en prend à lui et va se faire de plus en plus menaçant, dans une course poursuite mortelle que nous allons suivre.

Nous ne saurons pas pourquoi le conducteur du camion a pris David Mann en grippe (et cela rappelle « Les duellistes » de Ridley Scott, là aussi un premier film réalisé en 1977, où le prétexte à la querelle entre les deux hommes est tout aussi absurde), nous sommes plongés tout de suite dans cet affrontement à deux, ce duel du titre. Car David Mann est un homme sans histoire, avec une situation professionnelle correcte, marié, deux enfants, rien qui le prédispose à cet affrontement.

Tout cela se passe dans l’Amérique des pionniers, celle des grands espaces de la conquête de l’ouest, restés pratiquement vierges à l’exception des saignées que font les routes, on y voit dans les « diners », où des serveuses un peu fatiguées mais très accortes vous servent café, burgers et sandwichs, des camionneurs portant santiags et stetsons, comme une résurgence des westerns passés.

Depuis, le rêve américain s’est teinté d’angoisse, les grands espaces ne sont plus synonymes d’avenir radieux, mais de dangers qui menacent les hommes des villes, on peut y croiser des prédateurs qui peuplent certains road movies des années 1970, « Easy Rider » (Dennis Hopper, 1969), « Macadam à deux roues » (Monte Hellman, 1973), ou encore « Délivrance » (John Boorman, 1972 – en l’occurrence plutôt un river movie 😉). L’image positive du fermier / cow-boy progressiste a laissé la place au « redneck », rustaud et intolérant.

Pour en revenir à la mise en scène, il faut souligner la manière incroyable qu’a le metteur en scène de faire advenir la terreur. Ce camion est décrit comme une bête préhistorique de rouille et d’acier, il en a la carrure massive, il finit presque par prendre vie, avec ses phares en forme d’yeux vides et la voix féroce de son klaxon, comme une métonymie de l’être vivant qui le conduit. Tel un taureau antique excité par la couleur vive de sa proie, il va se montrer impitoyable jusqu’au bout. Et nous nous prenons à le guetter avec angoisse dans les rares plans dont il n’est pas, l’oreille aux aguets pour entendre l’horrible bruit de son moteur.

C’est grâce à une mise en scène dépouillée et virtuose, que le cinéaste parvient à ce résultat. Il filme souvent à hauteur de camion, ce qui contribue à donner vie à cette machine et en champ et contre-champ pour mieux illustrer le duel. Il prend un malin plaisir à souvent intégrer le monstre en arrière-plan de l’image, menace attendant sa proie.

Je ne vous livrerai pas la fin, bien sûr, je ne peux que vous recommander de voir le film, il est extraordinaire (au sens étymologique du terme, soit sortant tout à fait de l’ordinaire) et tout à fait hors-norme dans la filmographie de Steven Spielberg.

FB