Nous connaissons l’originalité des cinéastes australiens – Baz Luhrmann, Jane Campion ou même Peter Fairman, réalisateur de « Crocodile Dundee » (1986) et Paul John Hogan à qui l’on doit « Muriel » (1994)- qui savent nous surprendre par leur ton décalé. Et pourtant, rien ne pouvait me préparer à cette découverte jubilatoire qui m’a prise par surprise, ce samedi (je précise que je n’avais pas vu l’opus précédent de ce réalisateur).
Le film, réalisé en animation en volume (stop motion) met en scène l’histoire de Grace Pudel, une petite fille fascinée par les escargots, dont nous allons suivre la vie jusqu’à l’âge adulte, son histoire de famille, ses rencontres, ses joies et ses peines, dans un récit lui-même en forme spiralée de coquille d’escargot, scènes imbriquées les unes dans les autres.
Il y a bien des éléments autobiographiques importés ici par le metteur en scène, Adam Elliott. Il fait de Grace une solitaire, à l’instar de son expérience à lui d’une enfance solitaire, dans un désert reculé du centre de l’Australie. Autre exemple, le père de l’héroïne est acrobate, tout comme le père du metteur en scène, dont c’était le premier métier. Est-ce pour cette raison que le film dégage tant de vérité bouleversante ? Sûrement ; et aussi parce qu’il met en scène les fragiles, les cabossés de la vie, ceux qui vivent en marge des autres (ce n’est pas pour rien que la spirale de la coquille de Sylvia, l’escargot préféré de Grace, est à l’envers). La tête dans les livres – le réalisateur rend un hommage vibrant à la littérature, Kafka, Steinbeck, Sylvia Plath, Anne Frank, ou entourés de leurs objets et animaux favoris, comme des talismans, les protagonistes se créent une existence rêveuse et isolée. Pour les représenter à l’écran, des silhouettes floues, presque brouillées, résultant d’une infirmité du cinéaste, un tremblement des mains qui l’empêche de dessiner nettement ; à la marginalité des esprits répond l’imprécision des corps.
Dans ces vies abîmées, où nous croisons bien des maux (alcool, drogue, amputations, mort, extrémisme religieux, nudisme, répression de l’homosexualité, déviations sexuelles, maladie mentale, etc.) des êtres viennent à la rescousse des héros, comme des points lumineux qui défient la noirceur de la vie. Ici, c’est Pinky, une femme d’un certain âge, aventurière sans limites, qui devient l’amie intime de Grace ; la description de ce personnage incroyable vaut le film à elle seule.
Pour raconter cette histoire qui souffle le chaud et le froid, le réalisateur construit un univers au ton très personnel et à l’esthétique grinçante, aux couleurs sourdes, qui ferait passer presque passer Tim Burton pour Walt Disney. Nous sommes plus proche de Jean-Pierre Jeunet, qui est mentionné plusieurs fois par l’auteur : il le cite dans les remerciements, il fait mention certaines scènes d’un Paris idéalisé digne d’Amélie Poulain et il convoque un acteur fétiche du cinéaste français, Dominique Pinon, pour donner voix au père de Grace.
Les voix et les sons, il faut en parler aussi. Magnifiques voix off (allez voir le film en VO !), notamment celle de l’actrice Sarah Snook qui représente Grace et somptueuse musique originale interprétée par l’Australian Chamber Orchestra, qui s’intègrent parfaitement ici.
Vous comprendrez aisément que j’ai adoré ce film chargé d’une émotion indicible.
FB
