Cinéma – Boris LOJKINE : L’histoire de Souleymane (2024)

Cinéaste familier de l’Afrique, avec laquelle il entretient de multiples relations depuis plus de dix ans, Boris Lojkine, cinéaste français présente ici sa troisième oeuvre de fiction, elle aussi entremêlée d’histoire africaine.

Nous allons y suivre dans les rues de Paris deux jours dans la vie de Souleymane Sangaré, un Guinéen de 25 ans, qui attend son Graal, à savoir son entretien avec l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et des apatrides, qui suit les demandes d’asile).

Cette contrainte de temps a fait dire à certains critiques que nous assistions à une course haletante, urgente, emplie de suspense, pour savoir si Souleymane va obtenir ou non le droit d’asile. Je ne partage pas cet avis, qui pourrait réduire le film à des péripéties toutes tendues vers un but final (nous ne sommes pas dans « Premium Rush », David Koepp, 2012). Ici, ce qui importe davantage c’est le chemin, c’est la manière dont le cinéaste parvient à brosser un immense portrait de l’immigration, par petites touches (quand Souleymane dit à sa fiancée qui veut le rejoindre en France de ne pas venir, car c’est très risqué pour les femmes, ce sont toutes les cohortes de violences sexuelles que nous voyons passer). Ainsi, en une heure et demie, nous sommes confrontés à un condensé des chemins de croix empruntés par ces personnes qui veulent changer d’avenir dans un pays différent. Les adversités rencontrées par le héros en deviennent plus aigües, et les gestes de solidarité à son égard d’autant plus forts également.

Pour rendre plus incarnée cette quête d’une autre vie, la caméra ne lâche jamais l’interprète principal, Abou Sangaré (acteur non professionnel qui a inspiré l’histoire, absolument remarquable), qu’elle filme souvent en plans serrés, sur fond de paysages urbains floutés, sombres ou nocturnes. La ville se fait arrière-plan hostile, bloc confus de bruits et de couleurs diffuses, dont Souleymane peine à comprendre les codes.

Bien loin de la bien-pensance ou du pamphlet, le film trouve un équilibre subtil en décrivant sans manichéisme, et sans donner de leçon de morale, des personnages humains avec leurs failles, y compris le héros ; ce sera particulièrement manifeste dans l’entretien final avec la conseillère de l’OFPRA, scène climax de l’oeuvre.

Reparti du Festival de Cannes avec le Prix du Jury et le prix d’interprétation masculine pour Abou Sangaré dans la section « Un certain regard », à notre époque où les migrants sont devenus masse compacte et anonyme, enjeu de bien des programmes politiques, ce film salutaire remet en lumière les humains derrière les concepts.

Je pense n’avoir jamais touché de si près les trajectoires tragiques de ces personnes et je ne regarderai plus les livreurs en vélo de la même façon à l’avenir.

FB