« Hola senor, a donde te llevo.
Où je t’emmène ?
A Otay ?
Garita de Otay ?
Donne-moi quinze dollars et je te dépose à Otay.
Como no.
Tu sais où c’est Otay ?
Donne-moi douze dollars et je t’amène à Otay.
Vamos.
Por que te vas a Otay senor.
Y’a rien à faire à Otay y’a que des camions.
Ah c’est les camions qui t’intéressent.
Tu veux monter dans un camion.
D’accord.
Haha non je passe pas par Jardines del Lago.
Tu m’as demandé Otay, maintenant tu dis Jardines del Lago.
C’est non je te dis.
C’est pas un bon endroit où aller.
Pourquoi tu insistes senor.
C’est pas un bon endroit je te dis.
Même si tu rajoutes dix dollars c’est non.
T’es pas venu pour les cliniques alors.
T’es pas venu te faire soigner les dents ni le cancer.
D’habitude c’est pour ça qu’ils viennent.
Par cars entiers.
Ils dorment à San Ysidro côté américain et le matin des cars viennent les chercher pour les emmener voir les médecins.
Y a que ça regarde : des cliniques toutes neuves.
Tu peux tout te faire soigner ici.
Le cancer les dents les yeux […] »
Sylvain Prudhomme, né en 1979, est un écrivain français tourné vers des cultures différentes, qui font la trame de son oeuvre, surtout l’Afrique, de l’Algérie au Bénin, en passant par la Guinée-Bissau ou le sud de la France, où il vit désormais. Il se montre dans cet ouvrage sociologue et ethnologue dans l’âme, il explore l’écriture dans une approche multiculturelle.
Il nous livre un documentaire/roman, un objet qui oscille entre réalité et fiction, fruit du voyage qu’il a réalisé en auto-stop sur près de 2500 kilomètres en bordure de la frontière entre Etats-Unis et Mexique, pour les besoins d’un reportage dans la revue « America ». Pour cela il va utiliser les notes qu’il a prises et reconstituer les dialogues avec les conducteurs qui l’ont accompagné dans ce périple. Le titre « Coyote », renvoie à la fois à l’animal qui parcourt les routes, comme notre auteur, et aux passeurs qui convoient des migrants pour leur faire franchir la frontière.
Et c’est magique ! Ces petits bouts de prose, dans lesquels il efface ses questions pour se concentrer sur les réponses données par ses interlocuteurs, dressent un panorama saisissant de cette zone limitrophe, à la jonction de deux pays autant liés par leur antagonisme (le « Mur de Trump » devient une pierre angulaire du livre, de même que son commanditaire) que par leur proximité. Nous notons la fluctuation de la frontière, qui se fait poreuse pour laisser passer les travailleurs mexicains, mais se ferme avec inflexibilité quand il s’agit de migrants.
Pour mieux faire exister ses conteurs d’un jour, en plus de se faire muet afin de leur laisser tout l’espace de l’écrit, l’auteur ajoute à la fin de chaque dialogue une photographie du protagoniste devant son véhicule. Voir ces étrangers, qui ne le sont plus complètement pour nous, a quelque chose d’émouvant.
Car l’image est ici très importante, le discours des conducteurs en est émaillé, beaucoup décrivent le lieu qu’ils parcourent, la nature qui les entourent. Cela plus la collection de leurs histoire personnelles donne un relief tout à fait inédit au récit, qui se transforme en filigrane d’histoire de la migration mexicaine aux Etats-Unis (ce sont surtout des Mexicains qui prennent l’écrivain en stop).
Pour les amoureux du septième art, enfin, l’auteur émaille lui aussi ses petits textes intercalaires de citations filmiques.« Sicario » (Denis Villeneuve, 2015), « No country for old men » (Frères Coen, 2007), la trilogie de Star Wars, viennent se réinscrire dans leurs décors naturels de tournage, faisant davantage exister cette région unique.
Cet opus plume (250 pages aérées), qui se savoure et se dévore en quelques heures, vient à point nommé pour remettre des « hommes et des femmes ordinaires », comme les appelle l’auteur, au centre de cette période pré-électorale américaine.
A lire absolument !
FB

Un roman de frontière qui laisse passer quelques incises cinématographiques en contrebande, voilà qui aiguise ma curiosité. Merci du conseil.