Dans l’alignement de l’axe nord sud, dit « Axe central de Pékin », où bat le pouls de la ville historique, au nord de la Cité Interdite et de la Place Tian An Men et à l’extrémité de l’ancienne ville tartare, se trouvent deux bâtiments bien particuliers, la Tour de la Cloche et la Tour du Tambour. Ils sont un jalon important sur cette voie, qui se prolonge au nord par la cité olympique de 2008, puissance des symboles…
La première, la Tour du Tambour (fermée depuis que je suis arrivée à Pékin, je l’ai vue récemment emballée dans des treillis de plastique qui ont désormais disparu, et je caresse l’espoir de la visiter avant mon départ), a été rebâtie en 1420 par l’Empereur Yongle, de la dynastie Ming, sur les vestiges de l’ancienne tour de bois qui faisait le centre de Dadu, la capitale de la dynastie des Yuan (XIIIe/XIVe siècles). Quand nous pourrons nous y rendre, nous pourrons admirer les 24 tambours qui rythmaient les heures dans la cité. Il me tarde !

Sa soeur, la Tour de la Cloche, peut heureusement se visiter. C’est une géante de presque 48 mètres de haut, quasiment la hauteur de l’Arc de Triomphe de Paris. Bien austère dans son apparat de briques grises et ses toits aux tuiles vertes vernissées, elle me fait penser à une vieille lady un peu collet monté, comme corsetée dans sa dignité. Elle date de la même époque que sa (fausse) jumelle et a été rebâtie au XVIIIe siècle après un incendie.
Les deux tours sont séparées par cette esplanade d’une centaine de mètres, un lieu où se retrouvent les locaux pour jouer ou faire du sport.


Ces tours, que l’on retrouve dans les temples, le plus souvent en face l’une de l’autre dans la première cour, ou dans les villes (Pékin, mais aussi Xian par exemple), ont une fonction sociale très importante. Elles rythment le temps, comme nos églises en France, sonnant les heures pour que les habitants puissent structurer leurs journées. Je suis fascinée par cette idée, le temps devait être à l’origine un tout éternel et effrayant, pour pousser toutes les civilisations à inventer leur moyen propre pour l’amadouer en le divisant en petites portions pour se donner des repères ; à l’heure (c’est le cas de le dire) des montres connectées, des smartphones, des ordinateurs, qui vous donnent l’heure à la seconde près, cela nous paraît une évidence, mais cela reste pour moi un merveilleux mystère.
Revenons à notre Tour de la Cloche, celle que l’on peut visiter.
Il faut la contourner sur son flanc droit pour atteindre un escalier bien raide de presque 70 marches (moi qui ai le vertige, j’ai fait un vrai effort, surtout en descente), pour atteindre le sommet, qui abrite cette fameuse cloche.
Quand elle sonnait, elle était entendue à 20 kilomètres à la ronde, une puissance de son très impressionnante.
J’ai beaucoup aimé cette dame de bronze, nichée au coeur de tous ces étais de bois rouge, qui veille sur Pékin, telle une vigie silencieuse, depuis qu’on l’a privé de sa voix depuis les années 1930. Elle nous apprend beaucoup sur la manière dont les Chinois appréhendaient le temps.
La nuit était divisée en cinq « geng » 更(équivalent à deux heures) associés à des animaux. Le premier « geng » était celui du chien (19h à 21 h), le deuxième, celui du porc (21 h à 23 h), le troisième, celui du rat (23 h à 1h), le quatrième, celui du boeuf (1 h à 3h) et le dernier, celui du tigre (3h à 5h).
Quand la cloche sonnait l’heure, il y avait 18 carillons rapides, suivis de 18 carillons lents et de 18 carillons entre-deux, séquence qui était répétée deux fois, pour donner au total 108 carillons, ce qui symbolisait une année entière (par ailleurs, sachez qu’une année était constituée de 72 « hou »后, période de 5 jours, de 24 « qi » 期 et de 12 mois 月 – glané dans les cartons explicatifs). Magie de cette computation circulaire, où les années sont encloses dans des heures. Cela rend compte du dynamisme du temps, ici, où il est toujours possible de faire quelque chose jusqu’à la dernière minute, comme si une année pouvait effectivement être contenue en une heure…
Du haut de l’édifice, la vue est magnifique, elle ouvre sur les quatre points cardinaux pour nous offrir des paysages incroyables.
Dans ce quartier subsistent encore des « hutong » 胡同, ces habitats faits de ruelles sinueuses, avec ces toits gris légèrement incurvés et si caractéristiques. Ici vivent encore de petites gens, des travailleurs manuels, des cuisiniers, des marchands, dans une communauté bien différente des quartiers modernes . J’habite moi-même dans un de ces endroits au coeur de la ville.
Vivre dans un de ces quartiers me rappelle le premier livre chinois que j’ai lu dans ma vie, « Quatre générations sous le même toit », écrit en 1949 par Lao She, l’un des plus grands écrivains du pays, qui évoque la vie difficile dans la capitale pendant l’occupation japonaise de 1937 à 1945. Je ne peux que vous le recommander, même s’il est parfois très dur.
Si j’adore hanter les lieux en hauteur ici, comme par exemple l’ancienne tour de la télévision (voir article sur mon blog), c’est pour admirer cette ceinture de montagne, qui enserre la ville, confrontation entre urbanité et nature qui me fascine.
Et puis, vers l’est, nous apercevons, du haut de toute cette Histoire qui nous entoure, la ville moderne à l’horizon, comme un raccourci temporel.

Je terminerai en vous montrant la Tour en 1906, quand la ville moderne n’avait pas encore essayé de rivaliser en hauteur avec elle et qu’elle dominait tout ces entrelacs de hutongs à ses pieds.
FB














