Comme toutes les autres civilisations, Taiwan a eu besoin de se doter de jalons mémoriels, mausolées, mémoriaux, qui rappellent à tout un chacun des moments héroïques de l’histoire. Ce qui est particulièrement remarquable est le nombre de ces monuments, dans la capitale on en dénombre désormais quatre principaux, pour une période de moins de 80 ans, cela peut sembler beaucoup. Il y a sûrement un sens à cela, se forger une identité différente et séparée de la Chine, ce pays avec lequel bien des Taiwanais partagent une longue histoire.
C’est avec beaucoup d’intérêt que je suis allée rendre visite à ces lieux d’histoire, je vais comme à l’habitude essayer de vous faire partager ces excursions.
Commençons par le plus spectaculaire, le Mémorial de Chang Kaï Chek, dédié à l’homme à qui l’on doit l’implantation à Taïwan de la République de Chine, dont il fut le Président de 1950 jusqu’à sa mort en 1975. Le bâtiment fut érigé en cinq ans et inauguré en 1980.
Une immense arche de marbre blanc ouvre sur une esplanade au diapason, sûrement à l’aune de ce grand personnage ; il y a ici des rémanences de l’immensité de la Place Tian An Men de Pékin dans l’imaginaire de ceux qui ont conçu cet ensemble architectural (cette Place de la Liberté fait 250 000 m², à comparer aux 400 00 m² de Tian An Men – Notre Place de la Concorde, avec ses 86 400 m², fait pâle figure) : l’espace donné à ce fondateur doit pouvoir se comparer à celle allouée au fondateur de la République populaire de Chine, ce serait autrement une perte de face 面子, comme quelque chose d’insupportable.
Notons d’ailleurs que les canons architecturaux utilisés ici sont ceux issus des époques Ming et Qing, soit la période classique de l’architecture chinoise et ce n’est pas une coïncidence, c’est l’inscription dans une filiation, une manière de revendiquer quelque chose de ce passé commun. Et également de s’inscrire en faux par rapport à la Révolution Culturelle qui a fait rage peu de temps auparavant (1966-1976), détruisant une large part du patrimoine en Chine.
L’esplanade (à ce stade de grandeur, difficile d’appeler cela une place) est encadrée à gauche par le Théâtre National et à droite par la Salle de Concert Nationale, ce qui renforce encore l’idée de préservation de la culture. Ils sont aussi conçus en filiation directe avec l’époque d’or de l’architecture chinoise.

Il faut encore cheminer cinq à dix bonnes minutes pour atteindre le mausolée proprement dit. Et 89 marches de bonne hauteur vous attendent (le nombre d’années du Président à sa mort) pour accéder à l’édifice.
A l’intérieur de ce hall froid et monumental, une statue de Chang Kaï Chek, bien gardée, vous accueille (enfin, si je puis dire, rien d’accueillant ici, simplement de la grandeur qui cherche à impressionner).
Les étages inférieurs abritent un petit musée très intéressant (d’autant plus qu’il est bilingue, ce qui me change de la Chine), relatant la vie du Président, sur un mode auquel je n’étais plus habituée, à savoir que l’étalage de documents montrant sa gestion répressive des libertés, confinant à la dictature ne lui est pas épargné. Un pays démocratique, quoi.
Je ne ferai pas l’impasse sur ce qui est considéré comme un des « must have seen » de l’endroit, les deux Cadillac qui étaient ses véhicules de fonction.
Le Mausolée des Martyrs est dédié à la mémoire des 400 000 soldats tombés pour la République de Chine, autant pendant la lutte contre les Communistes que dans la Guerre Sino-Japonaise.
Construit en 1969, il est adossé à la montagne Chingshan et édifié sur l’emplacement d’un ancien temple taoïste
Chemin faisant, sous la pluie et dans le vent, j’ai croisé ces pimpants pavillons ourlés de drapeaux et enserrés dans cette nature tropicale, qui ne dépareraient pas dans un jardin de la capitale chinoise.
L’édifice principal est richement orné, mettant en avant la couleur rouge, la couleur phare en Chine, que nous allons retrouver partout. Rouge de la vie, rouge du sang de tous ces morts, tout se mélange ici.

Il a été calqué sur le Pavillon de l’Harmonie Suprême, au centre de la Cité Interdite à Pékin.

Les coursives nous montrent tous les motifs de cette Chine laissée derrière par ces émigrés, comme une reconstitution pleine de fierté et d’appartenance.

Dans tout cet environnement de palais et jardin bien chinois, sont « incrustées » des plaques commémoratives, rappelant l’horreur des combats, ainsi qu’une litanie d’hommages aux victimes (non photographié). De nombreux combattants sont tombés lors de la bataille de Guningtou (ou Kinmen), du nom d’une île au large de la Province du Fujian en Chine, qui opposa les forces de la République de Chine aux Communistes entre le 25 et le 27 octobre 1948 et vit la défaite de ces derniers, mais au prix de très importantes pertes du côté de la République de Chine.
Deux fois par an, le Président de la République vient honorer le lieu, lors de la fête de la jeunesse en mars et lors de la fête des militaires (sic) en septembre.
L’incident du 28 février 1947
C’est un événement fondateur dans l’histoire de cette jeune république, qui a décidément commencé son histoire à Taiwan dans la douleur et l’arrachement. Régnait alors sur l’île un système de monopoles qui encourageait le marché noir. Le 27 février 1947, dans la capitale, des fonctionnaires molestèrent une femme qui vendait des cigarettes sous le manteau, jusqu’à lui faire perdre connaissance (si vous pensez à l’immolation de Mohamed Bouazizi en Tunisie en décembre 2010, prélude des « Printemps arabes », moi aussi). S’ensuivit le lendemain une révolte populaire, le gouvernement, dépassé dans un premier temps, fit mine d’accepter les revendications des insurgés, pour se livrer à une répression féroce au début du mois de mars, qui fit entre 18 000 et 30 000 victimes, pour la plupart des intellectuels, professeurs, étudiants entre autres. Il a fallu attendre 1992, après la levée de la loi martiale, pour que le gouvernement fasse des excuses publiques. Le 28 février est devenu un jour férié et des lieux de mémoire ont vu le jour (imaginez la même chose après les événements de la Place Tian An Men et vous comprendrez une des fortes différences entre les deux pays).
Le premier parc public de Taiwan, créé en 1928, a été renommé en 1996 2-28 Peace Memorial Park, pour rendre hommage aux victimes et rappeler à tout un chacun cet épisode de l’histoire sombre.
Un monument, représentant une aiguille en équilibre, comme pour rappeler la fragilité de la démocratie, a été érigé au centre du parc.
Occupant un bâtiment construit par les Japonais en 1931, un musée a été consacré au même épisode (dans un endroit différent de la ville).
A l’intérieur un style épuré et très graphique.
Le premier étage abrite une exposition (malheureusement avec des cartons majoritairement en chinois), dont je retiendrai deux images fortes, qui se passent de sous-titres.

Je n’ai pas pu voir le Mausolée de Sun Yat Sen, le premier Président de la République de Chine, qui avait l’air au diapason, convoquant bien des symboles architecturaux chinois, notamment un bâtiment principal inspiré du Temple du Ciel de Pékin. Désolée pour cet article incomplet, mais qui, j’espère, vous aura fait voyager dans la construction d’une nation naissante.
FB





















Merci pour cette passionnante découverte de la face mémorielle de la capitale taïwanaise (île refuge du grand cinéaste King Hu). J’ignorais la plupart des lieux, de cette Histoire, et l’événement de février 47. Il m’a davantage rappelé la mort de Mahsa Amini en Iran qui a conduit au soulèvement de la jeunesse et à une répression terrible par le régime. Malheureusement, contrairement à la République de Chine, le peuple iranien n’a pas encore pu renverser la donne à la tête du pays.
Oui tu as raison pour la comparaison. La différence est que l’Etat taïwanais a reconnu les faits (quelques trente ans après, certes).
Bonne journée à toi et merci pour ton commentaire.