Pékin – Temple du Pic de l’Est Dong Yue Miao 东岳庙 (2023)

A Rémi Anicotte

Samedi dernier, je suis allée revoir le Temple du Pic de l’Est, situé au centre de Pékin ; je l’avais déjà vu seule fin 2020, il m’avait beaucoup intrigué et je me suis jointe cette fois-ci à une visite organisée par Rémi Anicotte, un homme érudit et passionné, pour mieux comprendre.

Fondé en 1319 et reconstruit ensuite plusieurs fois au XVIIe et au XVIIIe siècle, c’est un temple à dominante taoïste, même si nous trouvons ici des caractères confucéens et bouddhistes. J’ai compris ce jour-là que notre manière de considérer l’obédience de tel ou tel temple a peu de sens ici, la Chine conjugue trois courants de pensée/philosophie/religion, le Confucianisme, basé sur la loi, qui est au-dessus des autres car porté par l’Empereur, le Taoïsme, basé sur l’ordre de la nature, et le Bouddhisme, basé sur la méditation et l’éveil individuel. Ainsi seuls les temples fermés (comme nos monastères) sont d’une seule obédience, les autres sont quelque peu oecuméniques.

Les malheurs de ce pauvre temple ne se sont pas limités à ces reconstructions. Il était géré par des guildes, car la Chine impériale comprenait tout un réseau d’associations locales qui prenaient soin des services publics, dans lesquels entraient la construction et l’entretien des temples. Acte I, la chute de l’Empire en 1911 a mis peu à peu fin à ce système, le temple n’a plus été entretenu pendant longtemps, cela a été le cas pour bien des temples de la capitale, sur le millier qu’elle comptait. Acte II, pendant la Révolution Culturelle (1966-1976), ce que le temps n’avait pas réussi à détruire l’a été par les Gardes Rouges. Acte III, en 1950, un incendie a fait disparaître les deux portes est/ouest. Acte IV, pour les Jeux Asiatiques de 1990, la route qui jouxtait le temple a été élargie, faisant disparaître l’entrée. Comme quoi, il faut parfois bien la conjugaison d’adversités différentes pour endommager d’un lieu cultuel/culturel.

L’entrée actuelle du temple, qui est en fait une entrée sur la cour principale, puisque l’entrée initiale a été supprimée par la rue, vous suivez ?

Par conséquent, les Tours du Tambour et de la Cloche, que l’on trouve habituellement après la première entrée, se retrouvent en tête de pont, directement affrontées à la ville moderne, elles qui n’en demandaient pas tant.

La Tour de la Cloche, heureusement bien gardée contre tous ces buildings

Nous sommes ici, comme déjà évoqué, dans le Temple du Pic de l’Est, relié à la montagne Taishan 泰山, une des cinq montagnes sacrées de Chine, située dans la province de Shandong, qui est supposée être une entrée vers le Royaume des ombres. L’Empereur du Pic de l’Est, forme avec l’Empereur de Jade, qui gouverne le ciel et l’Empereur de Chine, qui gouverne la terre, la trilogie régnante sur la totalité du monde, nous sommes ici un lieu dédié à sa dévotion.

L’entrée officielle, qui vous l’aurez compris, a été rabotée d’une cour. Pour ceux qui n’ont pas suivi, voir plus haut

Comme beaucoup de temples à Pékin, les arbres ont été préservés, croulant sous les ans, témoins de bien des transitions, ils restent et demeurent, tordus par le temps qui passe.

Dans la cour qui suit l’entrée
Arbre votif

La Porte d’observation du Pic oriental donne le ton dans les sentences écrites sur les deux piliers parallèles : « Ceux qui abusent de leur pouvoir et outragent l’ordre des choses dans ce monde, aucun n’échappera aux châtiments des bureaux de l’au-delà » (entrée centrale). Et si vous n’aviez pas bien compris, les sentences des portes est et ouest sont également explicites.

Abrités dans les deux parties est et ouest de la porte, deux Généraux protecteurs, celui du Tigre et celui du Dragon. Je me demande si le titre du film éponyme d’Ang Lee (2000) ne vient pas de là.

Celui du tigre, reconnaissable à sa bouche ouverte, pour le rugissement
Et celui du dragon, à la bouche fermée

Si tout a l’air jusqu’ici assez classique par rapport à d’autres temples que je vous ai fait visiter, nous allons maintenant à la rencontre de toute une administration chargée des relations entre les humains et les forces de l’au-delà. Le temple compte en effet 76 bureaux administratifs, qui gèrent différentes catégories de plaintes et agissent comme des tribunaux des enfers. Nous sommes dans un univers de châtiments et récompenses, celui qui fait le bien sera récompensé, celui qui fait le mal sera châtié.

Ces bureaux entourent la cour principale, ils sont ornés de statues de plâtre, refaites d’après les originaux – il a fallu bien des recherches et du savoir-faire pour les reconstituer. Le temple a maintenant repris du service et nous avons croisé des locaux venant faire leurs dévotions auprès de tel ou tel bureau.

Cette femme que nous avons croisée plusieurs fois avait apparemment bien des choses à solliciter

Alors, maintenant que je vous ai mis en appétit, venons-en à ces bureaux infernaux, toute une bureaucratie de l’au-delà en miroir avec celle de l’Empereur terrestre. Je ne peux pas malheureusement vous les faire découvrir en intégralité, cela deviendrait une litanie bien fastidieuse (bien que). J’ai essayé de sélectionner les plus intéressants.

Pour vous donner quelques repères, car vous plongez avec moi dans un inconnu, voici une photo d’ensemble (pas très réussie, désolée) de ces bureaux, des pièces d’environ deux mètres sur cinq, avec un juge assis au fond et ses acolytes sur les côtés, auxquels sont adjoints parfois des victimes ou des criminels.

Ici, chaque ouverture clôturée représente un ou deux bureaux, avec un vase à encens en premier plan

Le premier bureau, celui des châtiments et récompenses instantanées (un peu comme notre système de comparutions immédiates), a comme chef de bureau Yue Fei (1103-1142), exécuté sur dénonciation mensongère. Son rôle est de rétablir le droit rapidement quand une injustice a été commise.

Si les statues vous semblent poussiéreuses, il faut savoir qu’elles étaient sous l’Empire nettoyées une fois par an par la Guilde des tailleurs de jade, en forme de rituel, la poussière était alors confiée à la Guilde des céramistes et incorporée au matériau des céramistes telle une poussière sacrée.

Le bureau des souffrances et des peines et le bureau du contrôle de l’action des magistrats, qui viennent ensuite, partagent la même pièce. Nous voyons ici combien il s’agit d’un miroir de l’administration : il faut prévoir des bureaux qui supervisent l’action des autres bureaux… Pour tout vous dire, j’ai pensé au film Brazil de Terry Gilliams (1985) devant cette inflation bureaucratique.

Bureaux partagés, un concept finalement très ancien

Et il en existe d’autres, de ces bureaux qui supervisent l’action de l’administration, le bureau de la droiture des magistrats ou le bureau de jugement de l’intégrité des magistrats, par exemple (ce qui montre que cela devait être une préoccupation dans l’administration terrestre de l’époque, CQFD). C’est assez amusant de voir que l’inflation des structures centrales n’est pas uniquement un sujet français !

Viennent ensuite des bureaux plus exotiques, comme celui des résurrections, qui vise à redonner vie à des personnes mortes trop tôt en les renvoyant dans le monde des vivants. Ainsi, si l’un de vos proches est dans cette situation, vous pouvez aller vous plaindre ici.

Avec un monstre pour vous accompagner dans vos démarches administratives

Le bureau des poisons punit ceux qui usent de ces substances soit pour eux, comme une addiction, soit pour nuire aux autres.

Ils ont l’air vraiment anéantis et coupables, non ?

Au contraire, le bureau des dons de médicaments récompense ceux qui les distribuent à ceux qui en ont besoin.

On sent la différence, ici calme et joie des donateurs

Avec le bureau des exhortations, qui pousse ceux qui ne suivent pas les préceptes du Taoïsme à s’amender, nous faisons la connaissance de ces monstres colorés et improbables, aides du juge pour mettre en oeuvre ses jugements.

Et paf dans les fesses !

Et si vous n’avez pas tiré des leçons portées par le bureau précédent, vous aurez à faire au bureau de punition des mauvaises actions, où vous serez torturé ou réincarné en forme de vie inférieure.

Un peu gore, je sais, entre celui à qui on va couper la langue et celui qui a été éviscéré, intransigeance des enfers

Nous allons retrouver le Taoïsme dans des bureaux qui s’occupent des créatures autres que les humains. Ainsi le bureau des démons, qui a pour rôle de limiter leur nocivité.

Avec des acolytes assez rébarbatifs
Vous aurez noté dans les deux images ci-dessus ces petits monstres « monopodes » (copyright Rémi Anicotte), on les adopterait presque

Et aussi bien des bureaux qui s’occupent de divinités qui nichent dans les lieux naturels, les dieux des portes (oui, oui), des forêts, des rivières, ou ici des dieux du sol. Comme chacun de ces lieux comporte une divinité, ce bureau a pour objet de les réguler, de les réprimander, voire de demander leur mutation.

Le bureau de la répartition des pluies est un des bureaux où le chef n’est pas humain, plutôt dragon, animal de l’eau. Il lui incombe de veiller à maintenir l’ordre parmi les dieux de la pluie.

Avec des aides à l’avenant, comme ici un poisson

Il existe des bureaux dédiés à la réincarnation, celui des réincarnations en larve (mauvais karma !), des réincarnations ovipares, ou celui-ci, le bureau des réincarnations en animaux, qui ne vaut guère mieux, car les impétrants seront moins que des hommes.

Lapin, singe, tigre, chat, à vous de choisir… Ou non

Voici un bureau un peu spécial et d’actualité récente, le bureau du déclenchement des épidémies. Sous la récente tourmente du Covid19, il a été pris d’assaut, nous nous demandions même lors de notre visite si cela n’avait pas été la raison de la fermeture du temple pendant plus d’une année.

Tous ces bureaux sont tellement fascinants, entre celui qui juge l’intégrité des magistrats, celui qui s’occupe des avortements et fausses couches, ceux qui s’occupent des complots, de la luxure, des récompenses pour la lecture des textes sacrés et puis tous ceux qui sont dans la paperasserie, ratifications, signatures et validations, toute une théorie administrative réjouissante, que nous en oublierons presque le temple en lui-même, bien intéressant par ailleurs.

Ces forêts de stèles, avec les bureaux au loin

Je vous livre quelques images d’un des halls que nous avons croisé, celui des dieux de la fécondité, datant de 1323 et dédié à la fertilité. Avec ses figures inédites de dieux encombrés de bébés, il est tout à fait incroyable.

Tel nos cigognes
Le maître des lieux

C’est un univers très particulier que nous avons visité ce jour-là, et j’ai compris bien des choses sur la culture chinoise ici, grâce à notre conférencier. Une poésie immense se dégageait du lieu, nous n’avons fait qu’effleurer tout ce monde si différent du nôtre.

Notamment, j’ai été frappée par cette imagination dans la représentation des êtres de l’au-delà. Nous avons des références européennes, comme les toiles de Jérôme Bosch au XVe siècle, il existe un parallèle dans les peurs de l’au-delà, qui se jouent des continents.

Extrait du « Jardin des délices », environ 1500

Je vous livre quelques figures de monstres glanées au fil de mon cheminement, ils auraient pu inspirer bien des réalisateurs de science-fiction.

J’espère vous avoir entraîné avec moi dans cette bureaucratie infernale, finalement tellement sympathique.

FB