Chine – Harbin 哈尔滨

Les frontières de Chine, voire de Pékin se réouvrant, après avoir été emportée moi aussi dans le Tsunami du Covid-19, j’ai pris la poudre d’escampette pour hanter d’autres contrées que la capitale (que je finis par connaître assez bien, il est vrai, des heures de visite dans les temples et les jardins, des kilomètres arpentés à vélo dans les rues de la ville durant lesquels certains d’entre vous m’ont fidèlement accompagnée).

Ma première escapade a été à Harbin, ville du nord de la Chine, qu’il faut aller visiter en hiver, je vous expliquerai pourquoi ensuite. C’est la capitale de la province du Heilongjiang 黑龙江, le Fleuve du dragon noir et elle est surnommée « Perle au cou du cygne« , cette province ressemblant quelque peu à la figure stylisée de cet oiseau. C’est déjà une entrée en matière bien poétique, que je complèterai de deux caractéristiques que je vais développer, c’est une ville « de la glace » 冰城市 car les températures sont ici redoutables, mais permettent également bien des innovations à base de neige et de glace et c’est ensuite une ville cosmopolite, aux élans russe et chinois dans son architecture.

C’est presque l’extrême nord de la Chine, au-dessus de Vladivostok

Bref, bien des choses pour m’intriguer et me donner envie de braver ces températures bien hivernales, comme un globe-trotter temporaire du grand nord.

La ville de glace

De novembre à mars, les températures moyennes s’établissent au-dessous de 0°C, lors de mon séjour début janvier, il faisait une moyenne de -15°C à -18°C en journée (avec un ressenti descendant jusqu’à -24°C après le coucher du soleil). Il faut se vêtir avec toute une stratégie de couches superposées, un collant chaud et un pantalon de ski, des chaussures spéciales neige, col roulé, pull en laine et doudounes plus un grand manteau, et j’ai fait l’emplette sur place d’une chapka locale du plus bel effet. Gants de ski obligatoires, prendre des photos est parfois un supplice… Auquel je n’ai pas pu résister ! Il est vrai qu’à Pékin nous sommes déjà un peu habitués, le thermomètre s’établissant plutôt dans le négatif à partir de décembre.

Une échoppe locale bienvenue
Mêmes les petits chaussent des UGG, marque repère ici
Comment affronter le froid avec classe
Et là aussi

Alors pourquoi s’infliger toute cette souffrance, me direz-vous ? Et bien parce que la ville abrite un festival de sculptures sur glace et sur neige absolument magnifique.

Le premier soir je suis allée à pied (j’ai cru geler sur place au début et puis le corps s’habitue) jusqu’à un parc fréquenté plutôt par les locaux, le Parc Zhaolin, où j’ai découvert ces sculptures de glace, illuminées, bien belles.

Anniversaire de la création du parc, je suppose
Allées de lumières de glace
Un dragon en splendeur rouge et jaune
Un oiseau dans lequel j’ai voulu voir un phoenix, ne vous en déplaise
Un superbe dragon, de plus de dix mètres de long
Un petit clin d’oeil attendri pour ce jeune dinosaure
Un pont dans la couleur locale

Cette promenade était bien familiale, c’est ce qui m’a bien plu ici, je croisais la population locale venue amuser les enfants, dans la contemplation des sculptures, certes, mais également, avec bien des cris et éclats de rire, dans des jeux de tobogans de glace ou autres loisirs spécialement sculptés pour l’occasion. Je me suis mise au diapason de toute cette joie locale.

Ici un labyrinthe, difficile à rendre dans toute sa beauté
Les bouées servent à dévaler les pentes glacées, comme je le verrai plusieurs fois ensuite

Le lendemain je me suis rendue sur l’Ile du soleil 太阳岛, site beaucoup plus touristique (si j’en crois le prix du billet d’entrée, presque 25 euros, du jamais vu pour moi en Chine, la majorité des sites n’excédant pas 5 à 6 euros – ne me prenez pas pour une radine, c’est simplement pour expliquer que l’on vise ici une population particulière).

C’était magnifique, une forêt enneigée ponctuée de sculptures de neige dont les dimensions défient nos critères occidentaux.

A l’entrée, on nous rappelle que ce festival a 35 ans, ce qui est une vraie performance de longévité icije vous passe mon appréciation sur ce poussin trompettiste
Un lapin vous accueille, normal nous entrons bientôt dans son année de règne
Les dragons du printemps gardent malgré tout une belle allure dans toute cette neige
Les lapins ont détrôné le tigre, ils seront l’emblème de cette année

J’ai longtemps cheminé dans ces allées recouvertes par l’hiver (NB : j’ai fait 20 kilomètres à pied ce jour-là), en m’intéressant aussi aux arbres de cette forêt du grand nord.

Ces immenses allées qui nous mènent au coeur de la forêt
Scintillement de lumière dans les bouleaux
Une allée un peu customisée en mode chinois, mais bien pimpante au demeurant
Tandis que je chemine dans ces paysages d’hiver

Les sculptures qui jalonnaient ma promenade étaient étonnantes, comment imaginer que des oeuvres puissent durer si longtemps, quand sous nos latitudes nous voyons fondre nos sommaires bonhommes de neige en quelques jours, voire moins ?

Equipe de sculpteurs de neige en pause déjeuner

Et pourtant j’en ai croisé de ces beaux édifices temporaires, façonnés par les hommes, pour une éternité toute relative.

Un dragon bien menaçant
Pour vous donner une idée des dimensions de ces sculptures
A quoi pense cet elfe de glace ?
Improbable vierge à l’enfant, un clin d’oeil à la politique du deuxième enfant ?
Toute une poésie de neige
Magnifiques chevaux prêts à s’échapper
Et pour finir, une petite mention nationaliste autour de la Grande Muraille, cela ne fait pas de mal

Cette promenade sous des cieux glacés, aller à la rencontre de ces chefs d’oeuvre dans cette forêt d’hiver était vraiment un beau moment. J’ai ensuite repris ma route pour aller voir le deuxième site touristique, 冰雪大世界 le grand monde de la glace et de la neige, à la tombée de la nuit, à une station de métro de là.

Même si le côté spectaculaire des oeuvres, hors norme, m’a fait impression, cela ressemblait quand même un peu à Disneyland. Musique techno, bien entraînante ceci dit, rythmant ma promenade, j’étais dans un parc d’attractions et j’ai eu un peu de mal à m’imprégner de ces constructions de glace nimbées de lumières multicolores. Mais je dois tirer mon chapeau (ma chapka en l’occurrence) à la virtuosité des ouvriers.

Big Ben nous accueille
Un mur immense parcouru de lumière
Un Bouddha de neige accessible par des escaliers de glace
Un palais reconstitué, avec ses gardiens de neige
Le petit train paré de lumière qui parcourt le site
Isbas en rouge et glace
Une grande roue qui ne déparerait pas dans « Frozen »
Multicolorité de la glace – oui j’assume le néologisme
Château aux mille tourelles

La glace et la neige sont ici les éléments avec lesquels il faut coopérer de novembre à mars, autant en faire des oeuvres d’art ou des endroits de loisir.

La rivière Songhua 松花江 qui fait son chemin au milieu de la ville devient pendant l’hiver un gigantesque terrain de jeu, dans l’amoncellement de neige et de glace qui s’empare d’elle. Depuis le parc Sidalin (斯大林 traduction : Staline) qui longe le cours d’eau sur quelques kilomètres, les aires de jeu paraissent bien heureuses.

Une attraction où une voiture tracte une immense pieuvre multicolore sur la glace
Une alternative sur une banane géante
Pour les plus classiques, promenade en traineau à chiens

Cette déambulation le long de la rivière gelée m’a fait découvrir des bâtiments d’été pris dans le froid hivernal, comme des bateaux échoués qui portaient fièrement leur ascendance russe.

Un pont nimbé de cette magnifique lumière d’hiver
Les champs de glace/neige à l’horizon

Toute cette culture de la glace, je l’ai croisée au long de ma route dans la ville.

Incroyable façade d’hôtel temporaire mais qui durera la saison
Stands de vente de nourriture, en glace – Il fait -20°C, une pensée pour ces travailleurs du froid

Et puisque je viens de vous montrer des stands de nourriture, par esprit d’escalier je me permets une petite digression vers ce qui dans la nourriture locale était exotique par rapport à ce que je connaissais.

Le premier soir, je suis allée dans un magasin assez étrange, qui vendait des fruits et légumes ainsi que des produits de la mer. J’ai découvert ici un mets qui ne se range dans aucune de ces catégories, les vers à soie, qui sont ici très recherchés.

Le prix montre le raffinement de ce mets, entre 50 et 60 euros le kilo

J’ai fait un repas russe le deuxième jour, shashlik (brochettes) et saucisses, accompagnées de colossols et de thé dans un restaurant russe. Improbable et extraordinaire…

Des boulangeries ponctuent les rues, vous pouvez acheter du pain russe, du genre qui dure très longtemps, je pense que cela se rapproche de ce que l’on embarquait dans les navires ou en partant à la guerre, mais c’est très bon quand même.

Deuxième caractéristique de cette ville, son architecture. Nous sommes dans un creuset d’influences sino-russes, la ville a été fondée à la fin du XIXe siècle pour accompagner la construction du chemin de fer qui relie la Russie à la Chine (aujourd’hui une des branches du Transsibérien connue sous le nom de Trans-mandchourien). Les ingénieurs russes ont ici laissé leurs marques, dans une ville qui comptait au plus fort de son histoire presque 100 000 Russes, de ceux qui avaient fui la Révolution dans les années 1920. Pris ensuite en étau dans les remous politiques qui parcouraient la Chine et la Russie dans le même temps, ces Russes ont connu des moments bien difficiles, comme prisonniers politiques en URSS ou comme apatrides. Il n’en reste pas beaucoup aujourd’hui dans la ville.

Ils ont laissé en héritage une ville hybride bien intéressante.

Le monument phare, au centre de la ville, est Hagia Sophia (Софийский собор ou 聖索菲亞教堂, magie des passerelles culturelles), bâtie en 1907, après l’achèvement de la ligne de chemin de fer dont j’ai parlé plus haut, elle a été rénovée dans les années 1920/1930 et a résisté aux destructions de la Révolution Culturelle.

J’ai trouvé tout à fait improbable de me retrouver face à cet édifice religieux, d’un autre monde et d’une autre époque, j’ai adoré sa résistance à toute ces constructions anarchiques qui l’entourent et lui font finalement comme un écrin. C’était un moment incroyable pour moi qui ai pris le Transsibérien en 2018, de retrouver ces vestiges russes ici, comme une belle nostalgie d’Irkoutsk ou de Novossibirsk.

De nuit, adossée à toute cette architecture nouvelle chinoise, pauvre église perdue dans la grande ville
De jour, elle reste fière, défiant le temps qui passe

Vous pouvez visiter l’église, c’est très intéressant sur un plan sociologique, car je pense que vous y verrez ce que les Chinois projettent comme idée du patrimoine occidental. Un piano qui jouait d’approximatifs thèmes de musique classique, des tableaux en forme d’icônes russes revus et corrigés et une vague exposition de tableaux présentant des paysages de chez nous, dans une facture assez approximative. Ce n’est pas une critique de ma part ici, simplement une méta vision que j’ai acquise ici, qui me pousse à essayer de comprendre comment les Chinois voient notre relation au patrimoine, c’est toujours très instructif.

L’intérieur

Cette architecture russe, nous allons la retrouver partout dans la ville.

La place où Hagia Sofia tient la vedette

Une des rues les plus célèbres de la ville, qui la parcourt du nord au sud, est la rue Zhongyang 中央大街, allée piétonne de presque un kilomètre, qui malheureusement se mue en parcours touristique de plus en plus ; mais ne boudons pas notre plaisir, elle nous montre bien des édifices aux influences occidentales et si nous ignorons l’appel des sirènes des boutiques attrape-touristes, la promenade est superbe.

Je vous livre ci-après des clichés des plus beaux bâtiments que j’ai pu voir.

La fille sur la droite est en plein trip photo, son doux et tendre qui officie est hors champ
Une entrée bien orthodoxe
Statue italienne bien loin de sa base

J’ai marché beaucoup pour aller voir une mosquée et un temple, dans cette ville finalement assez oecuménique. En cheminant, j’ai croisé bien des immeubles d’angle, tels que je les avais vu dans ces villes de Sibérie, avec des pans coupés au carrefour, abritant souvent des magasins ou commerces. Ici, j’ai été frappée par la décrépitude qui s’empare d’eux.

La voilà ma mosquée, intrigante, dressant ses croissants de lune dans la lumière qui s’éteint.

Et puis ce temple Jile, 及乐, construit au XIXe siècle pour contrer le mauvais feng shui 风水 apporté par la construction de Hagia Sofia, en forme de conjuration. Il était très beau dans ce froid hivernal.

L’entrée
Pagode
Et ce bouddha immense et inédit

Je terminerai cette promenade architecturale en vous montrant quelque chose de très moderne, le nouveau théâtre de la ville. Je suis restée longtemps à contempler cet édifice organique qui se mélangeait au soleil et à la neige, comme s’il avait surgi des éléments.

Comment vous dire le plaisir de cette promenade hivernale ?

FB