Chine – Datong 大同 (2023)

Maintenant que nous pouvons nous aventurer hors de la capitale sans risque (sanitaire, le risque, à part cela voyager en Chine n’offre que peu de dangers), je me suis rendue dans la Province du Shanxi, 山西 (littéralement « à l’ouest des montagnes ») à quelques 350 kilomètres de la capitale.

Cette petite province (qui ne compte que 36,5 millions d’habitants… Trois fois la Belgique quand même) se situe dans le nord ouest du pays, proche de la Mongolie intérieure, et bien que connue pour être l’épicentre de la production du charbon dans le pays, elle est également l’endroit où se trouvent la majorité des vestiges et bâtiments anciens en Chine, notamment d’avant le XIIIe siècle (j’ai déjà eu l’occasion sur ce blog d’écrire une chronique sur la ville de Pingyao, absolument magnifique).

La ville de Datong est empreinte de toute cette histoire, son patrimoine est exceptionnel pour une « petite » ville de 3 millions d’habitants. La vieille ville est enserrée dans une enceinte carrée de 4 fois 4 kilomètres, bâtie au Ve siècle de notre ère (et remaniée ensuite), quand elle a été pendant un siècle la capitale de la dynastie Wei.

Je suis partie seule là-bas, mon niveau de chinois, bien que rudimentaire, me permet de m’en sortir au quotidien et puis la gentillesse des gens est telle que nous avons l’impression qu’une corde de rappel nous accompagne tout au long de notre chemin. Je me suis écartée des sentiers battus en choisissant un hôtel fréquenté par les Chinois nationaux, très agréable au demeurant et peu cher (quand vous êtes touriste et que vous voulez garder vos standards internationaux, vous passez dans un circuit parallèle aux prix adaptés, c’est vrai partout dans le monde).

Comme un salon/salle à manger sur lequel ouvrent les chambres
Ma chambre

Les deux grandes attractions de l’endroit sont un monastère suspendu (à 65 kilomètres de la ville – j’ai fait l’impasse, étant sujette au vertige, il faut en effet cheminer à flanc de montagne sans garde-fou) et les grottes de Yungang 云冈 (les grottes à la crête des nuages, quel beau nom encore une fois), plus proche de la ville, sites auxquels il faut ajouter (si j’en crois les circuits populaires proposés par les agences de voyage) le Monastère Huayan, situé dans la vieille ville.

Commençons par les grottes. Classées au patrimoine de l’UNESCO depuis 2001, c’est un des plus beaux sites de sculptures en Chine, avec des chiffres qui donnent le vertige : pas moins de 50 000 représentations de Bouddha enserrées dans plus de 250 niches excavées à même la montagne. L’ensemble a été réalisé aux Ve et VIe siècle de notre ère et si les influences de l’Asie du sud-est sont présentes, les Chinois ont imprimé leur marque ici. En comparaison, les très belles sculptures rupestres que j’avais vues à Dazu (voir mon article) sont postérieures, IXe/XIIIe siècles, nous sommes donc ici aux racines de la sculpture rupestre chinoise.

L’entrée a été balisée selon les critères d’ici. Cela veut dire profusion de parkings pour les visiteurs, mais aussi érection de bâtiments qui veulent impressionner.

L’entrée, toutes ces voies de circulations pharaoniques
Et puis le hall d’entrée, dans le thème, certes, peut-être légèrement surdimensionné…

Je ne devrais pas épiloguer là-dessus, après tout c’est la même chose en France, prenons par exemple la Cité de Carcassonne, que je connais bien, où les marchands du temple tutoient l’entrée du site mais ici tout prend des proportions inédites. Et puis il y a cette particularité qui consiste à canaliser les visiteurs, poussée à son maximum en Chine. Difficile de s’écarter des sentiers balisés dans les sites historiques, hérissés de barrières, de panneaux d’interdiction, accompagnés de multiples caméras qui ne vous donnent pas envie de transgresser…

Revenons à notre sujet. J’ai cheminé sur les routes de cet immense endroit, croisant au hasard de mon itinéraire des figures bien éloignées de ce que je venais voir, ainsi que des minibus qui évitaient aux visiteurs la longue (?) route.

Mais que fait-il là ? Les sculptures sont anciennes, certes, mais pas à ce point

Et puis arrivent, bien qu’un peu noyées dans toutes ces distractions périphériques, les niches et grottes de ce temps bien loin de nous.

Des siècles qui nous contemplent

Là je comprends pourquoi il faut aller voir cet endroit. Simplement pour voir cet immense Bouddha pensif, figé dans la pierre séculaire.

Ou ces figures ravinées par les éléments et le temps qui passe…

Ce sont d’innombrables traces humaines de l’ancien temps que porte la montagne, alignées dans leur impeccable rectitude. Oeuvre des Hommes, édifiées avec des moyens que nous avons du mal à comprendre aujourd’hui, à l’ère des grues, foreuses et autres engins.

Alignement impressionnant des niches

Nous pouvons imaginer l’impression faite par ces constructions, uniques en leur temps sur les visiteurs/fidèles qui venaient arpenter les lieux, au premiers siècles de notre ère. J’ai adoré ces immenses bouddhas immuables, dans leur éternité silencieuse de pierre.

Bouddha en posture Abhaya Mudra, signifiant absence de crainte et sérénité, exactement ce que nous ressentons en voyant cette statue

Toutes ces statues étaient à l’origine protégés, dans des grottes, et ont perdu cette protection suite à l’effondrement de la montagne.

Celui-ci est appelé « Bouddha blanc », il date du Ve siècle de notre ère et nous contemple du haut de ses 14 mètres.

Et puis viennent les cinq grottes, aménagées par Tan Yao, le moine qui avait suggéré à l’Empereur la construction du site, et qui a voulu sûrement laisser un grand oeuvre encore supérieur au reste. Le fait qu’elles soient protégées du monde extérieur, imperméable au vent, à la pluie et aux autres agents d’érosion, leur a permis de garder cette fraîcheur incroyable.

Les photos étaient interdites, j’ai transgressé la règle quand j’ai vu des locaux dégainer leur téléphone portable, au grand dam (parfois) du garde préposé à l’endroit (encore un métier impossible en Chine : surveiller que les Chinois ne prennent pas de photo dans un site…. Je pense que vous allez me remercier – même si la qualité n’est pas totalement au rendez-vous).

J’avoue avoir été saisie en entrant dans la première grotte. Devant la beauté de ce Bouddha de presque vingt mètres de haut, presque d’un autre monde.

Toutes ces sculptures ont été repeintes sous la dynastie Tang (VIIe-Xe siècle) et gardent une fraîcheur incroyable, abritées dans ces grottes, à l’abri du monde. Quelle chance que les chantres de la Révolution culturelle ne soient pas arrivés jusque-là…

J’ai également croisé une de ces peintures de la dynastie Tang.

J’avoue avoir été vraiment impressionnée par ces ensembles picturaux et sculpturaux, dont je vous livre ici quelques aperçus.

Après cette immersion dans ce patrimoine exceptionnel, j’ai refait ma route vers la ville, pour tenter d’en découvrir les beautés. Quand je dis cela, je ne me réfère pas uniquement aux monuments, mais aussi à l’atmosphère générale, j’essaye toujours de comprendre où je suis et comment cela fonctionne.

Par exemple, m’écartant de tout ce patrimoine de pierre, je vais rendre hommage au patrimoine culinaire en citant les « dao xiao mian » 刀削面 (littéralement nouilles râpées au couteau). La Province du Shanxi est réputée pour ses nouilles, sèches ou en bouillon, celles que j’ai goûté ici me resteront longtemps en mémoire.

Avec du céleri, du chou et des lanières de pomme de terre, excellent !

Réconfortée, je vous emmène avec moi à la découverte de la ville. J’ai d’abord visité le fameux Temple Huayan. Cela m’a permis d’avoir un premier aperçu de cette vieille ville construite en bois.

Avec les décorations du nouvel an à l’horizon, superposition des architectures

Edifié sous la dynastie Liao en 1038, il couvre plus de 66 000 mètres carrés, c’est comme une ville au sein de la ville, avec ses 30 édifices, classés au patrimoine chinois depuis 1961 (c’est du moins ce que disent les cartons introductifs), quelle chance car la Révolution Culturelle a commencé quelques années après. Il a bien sûr été amendé et reconstruit en partie dans les années suivantes mais garde une authenticité de bon aloi.

Le Hall de Bhaisajya Guru
A l’intérieur, des peintures sûrement bien refaites mais bien belles en même temps
Juxtaposition

Alors que l’hiver n’en finit pas de s’attarder ici, j’ai déambulé, presque seule, dans cet ensemble immense en ayant bien froid. Mais le bleu du ciel m’a rassérénée et j’ai profité du temps qui passe et du soleil qui jouait au milieu de ces immenses pins.

La neige continue à faire un écrin aux bâtiments
Ces magnifiques structures de bois adossées aux pins, bois contre bois

Ma promenade me fait rencontrer des édifices singuliers, qui se hérissent de dragons et mini stupas, telles que je n’en avais jamais vu.

Et puis voilà la Pagode Huayan, toute de bois (et pierre) construite, qui s’élance dans le cobalt du ciel, bordée d’arbres qui n’attendent que le retour du printemps. Elle est bien impressionnante.

A l’horizon, inattendue et réjouissante, la croix d’une église joue à cache-cache avec les arbres.

Je ne vais pas vous entraîner plus loin dans une litanie de visites de temples ou monuments, j’en ai vu beaucoup, je vais essayer de vous montrer ce qui m’a le plus touchée et intéressé.

Des dragons à profusion

Je ne sais pourquoi, cette ville regorge de sculptures de dragon, c’est un symbole de force et de longévité en Chine, j’en ai croisé bien des sortes que je partage avec vous.

Ces médaillons de pierre datent de 1724

Le Mur des neuf dragons, construit sous la Dynastie des Ming (1271-1368) est le plus ancien des trois édifices du même genre que compte la Chine (les deux autres se trouvant à Pékin, l’un dans la Cité interdite et l’autre le long du Lac Beihai). 45 mètres de long sur 8 mètres de haut, il fallait au moins cela pour laisser se déployer la danse de ces formidables animaux.

Un dragon jaune figé dans une éternelle danse
La vision d’ensemble, impression d’un mouvement dynamique enserré dans la pierre

Il faut dire que cette province du Shanxi est connue pour son art des tuiles vernissées, qui orne bien des monuments ici. Ainsi, les faîtes des monuments se dotent de poétiques animaux (la plupart du temps, des dragons 🙂 ).

J’ai recroisé ces animaux fantastiques qui déroulaient leur danse sinueuse au coeur du Temple de Confucius. Je ne sais l’âge de ces sculptures, sûrement vénérable.

Et, toujours dans ce même temple, des médaillons magnifiques baignés par le soleil du soir.

Incroyables charpentes

Une autre caractéristique des lieux que j’ai visités ici est la virtuosité du travail du bois dans les bâtiments. Nous pourrions passer des heures à contempler ces enchevêtrements qui font les toits et les structures des édifices.

Temple Huayan
Idem
Idem, plus ancien
Temple de Confucius
Idem

J’ai fini d’arpenter cette ville en montant sur la muraille pour avoir une vue d’ensemble sur mon parcours.

Bien des marches à gravir

Vu d’ici, nous comprenons mieux la géographie de cette ville où tout change, murailles anciennes rénovées sur fond de ville moderne qui n’en finit plus de hérisser ses gratte-ciel alentour.

Nous pouvons voir toute cette reconstruction en cours, ces siheyuan 四合院 (maisons traditionnelles autour d’une cour carrée) rénovés par centaines, qui doivent attendre de riches investisseurs, du moins je le suppose.

Hérissement de toits tous pareils, on dirait un programme immobilier de chez nous

Et toutes ces étendues en travaux, sûrement pour ajouter d’autres habitats « typiques » à la ville. Toujours cette Chine qui avance.

Dans mon chemin en hauteur, j’ai croisé cette Pagode de l’oie sauvage, construite en 1624, qui du haut de ses 37 mètres, se moque bien du temps qui passe…

J’ai continué mon chemin dans le soir qui s’installait peu à peu sur cette ville hybride.

C’est encore une fois une belle balade que j’ai faite, pas très loin de ma base et en même temps dépaysante.

FB