L’Université Qinghua (prononcez « Tsing roi » et vous aurez juste !) est une des plus prestigieuses du pays, elle est située dans la zone nord-ouest de la capitale, pas très loin du Palais d’Eté. L’actuel Président et une grande partie des élites en sont issus, si j’osais le parallèle, je pourrais comparer cette Ecole à l’ENA en France, le but est le même, former des élites, politiques ou autres, qui vont prendre des postes clés dans la société.
L’un des bâtiments de ce grand ensemble abrite un musée dont j’ai fait la connaissance aujourd’hui.

J’ai vu bien des choses ici, je prendrai (peut-être) le temps de décrire d’autres moments plus tard, je voudrais maintenant me focaliser sur une exposition que j’ai trouvée très intéressante.
Il s’agit d’un artiste officiel, Feng Yuan 冯远 né à Shanghai en 1952, artiste et membre du Parti, premier directeur du Musée dans lequel je me trouve. Il a occupé au long de sa carrière bien des postes importants dans les instances gouvernementales ou assimilées.
L’introduction qu’il écrit sur cette exposition est éclairante, je vous la livre telle quelle, lisez la cela en vaut la peine.
Car cela nous permet de comprendre cet artiste, qui met son crayon et son pinceau au service de l’idéologie dominante. Non sans panache, je dois dire, j’ai trouvé bien des oeuvres admirables même dans cette forte contrainte qui l’oblige à concilier créativité et coopération avec la pensé dominante du pays.
C’est exactement ce que j’ai vu ici, des toiles spectaculaires, souvent de grandes voire de très grandes dimensions, qui finalement reprennent les principaux thèmes développés par le Parti. Nous pourrions presque en sous-titrer certaines avec les écrits du Très Haut.
La cohésion sociale dans l’esprit de la grande nation
Cette peinture qui nous accueille à l’entrée de l’exposition est emblématique. Des travailleurs en tenue (je n’ai pas pu identifier leur champ d’intervention), aux sourires toutes dents dehors, ou en posture de grande dignité. Nous sentons le souffle de l’histoire qui nous accompagne déjà. Le titre de l’oeuvre « Nous« , montre bien l’importance des travailleurs pour le Parti, c’est un socle important qu’il faut valoriser et c’est aussi révélateur de l’aspiration à fédérer tout le monde dans un même cadre.
Les forces vives de la nation, ce sont aussi ces enfants qui seront la relève de demain. Ils sont figurés ici à l’école, studieux et appliqués. Quand nous voyons la pression qui est mise sur eux en Chine pour les études, depuis tout petits, nous comprenons bien cette toile. A titre d’anecdote, le pouvoir a décidé de sévir à Pékin contre les cours privés donnés aux enfants. Un des employés de mon entreprise a donc pris l’avion jusqu’à Macau pour faire passer un examen d’anglais à son fils de cinq ans… Cela me paraît bien emblématique de ce que je vois ici, des enfants quasiment surmenés par d’innombrables activités péri-scolaires, gérés par des parents qui le sont tout autant. Vertige et pression de la réussite coûte que coûte.
L’oeuvre suivante continue à tracer ce fil national de cohésion, en représentant tous ces contributeurs qui font de la Chine une grande nation (notez sur le côté droit les silhouettes des da bai, ces personnages qui ont hanté notre quotidien au gré des tests PCR et des confinements depuis plus de deux ans, à la recherche du covid19 perdu depuis).
La filiation historique, la grande histoire ancestrale de la Chine
Cette oeuvre, dont je vous livre ici un extrait (impossible de faire une photo de l’ensemble), veut montrer la filiation historique des grands hommes en Chine, depuis les empereurs jusqu’à Mao, Zhou Enlai et Deng Xiaoping, un arbre généalogique qui n’aurait historiquement rien d’évident mais qui prend ici comme une évidence de réinterprétation. Notez que cette peinture date de 2021.

Dans les ascendances, une place est faite à Karl Marx, décidément l’esprit du Parti est bien là.
Cette autre toile, vraiment hors norme, convoque bien des leaders et héros communistes dans une grande épopée. C’est tout à fait inédit pour nous, à notre époque, cette célébration pleine de lumière (et presque de sons) d’un passé politique. Bien que certaines caricatures ou dessins du XIXe siècle en France en soient assez proches.
Mais aussi sont évoqués des temps plus anciens, en ligne avec l’idéologie qui veut ancrer le pays dans un passé qui est devenu peu à peu imaginaire, sous les coups de boutoir des destructions du patrimoine des époques récentes.
La première oeuvre, qui cherche à reprendre les codes des peintures anciennes, est pour moi révélatrice dans son titre, qui intègre dans une version plus ancienne, certes, le concept des Routes de la Soie, remises à l’honneur en 2013 par l’actuel Président.
Et puis ces tableaux simples, à l’encre, qui rendent hommage à la poésie historique. J’ai aimé leur délicatesse et j’ai rendu hommage aux capacités de caméléon du peintre, capable de jongler avec tant de genres…
Ne nous leurrons pas, ces reconstitutions participent aussi à la construction d’un souvenir d’une Chine historique puissante et qui revendique une tradition historique longue et riche.
Et quel plus bel emblème que la construction de la Grande Muraille, dans cette toile qui fait comme une synthèse entre les forces vives du pays à l’oeuvre, l’Histoire et – transition avec la partie suivante -, la protection contre les ennemis de l’extérieur. Notez que c’est le premier monument à avoir été inscrit au Patrimoine de l’UNESCO en 1987, comme un symbole de la résistance chinoise contre les forces hostiles (oui, la Chine aurait pu par exemple choisir la Cité interdite de Pékin ou d’autres sites).
La diabolisation de l’Occident
L’oeuvre suivante m’a littéralement « scotchée ». A la fois par sa tentative folle d’épuisement du monde et aussi par ce que cela nous montre de l’appréhension chinoise des autres pays.
En 2,40 mètres sur 5 mètres, cet immense travail veut représenter l’essence des pays figurés ainsi que les portraits de leurs dirigeants, c’est absolument bluffant.


Quand nous en arrivons aux Etats-Unis, le soft power se fait hard power, pour dénoncer frontalement les débordements de la police, l’invasion du Capitole et les manifestations raciales. Il faut savoir qu’ici, les médias d’Etat convoquent quotidiennement des experts pour expliquer aux populations comment l’Occident est en décadence, incapable de contenir la violence des populations. Tout est amalgamé, les grèves en UK, l’épisode du Capitole, les bavures policières, pour montrer aux Chinois qu’ils sont protégés par leur gouvernement.
Car le monde semble être un terrain de luttes et de violence, c’est aussi ce que nous dit cette toile ci-dessous, où des figures aux traits fermés semblent être prêtes à en découdre.
La célébration des minorités
Après avoir rendu hommage aux héros du peuple (plutôt Han 汉, de la majorité ethnique ici), nous voyons des oeuvres centrées sur les minorités, Xinjiang et Tibet en premier lieu. C’est à mon avis un double mouvement auquel nous assistons, donner une place à ces minorités et en même temps les reléguer au rang de folklore (encore une fois, je me base sur les choix faits par l’artiste lui-même, qui nous montre de manière assez incongrue ces peuplades parées de tous leurs attributs, après avoir célébré une unité chinoise en devenir).
Les peintures sont bien belles, même si je n’ai pu m’empêcher d’avoir une impression de disparition immanente de ces ethnies, ce que j’avais ressenti pour les Miao en allant me promener du côté de Chongqing cet été.
Après ces moments bien forts, qui me rappellent dans quel pays je vis, je me suis ressourcée dans la beauté du ciel où la lune faisait concurrence au soleil.
Une promenade pleine d’enseignements.
FB
Merci pour cette promenade instructive dans une oeuvre foisonnante ! Bonne année 🙂