Nous sommes rentrés très brutalement dans le presque hiver, la semaine dernière, presque 30° dans la journée, avec une moiteur digne de l’Asie du sud-est et depuis quelques jours, les températures ont du mal à s’élever au-dessus de 19°C, flirtant avec les 4 à 5°C la nuit, le choc est rude.
Voyons le bon côté des choses (ne soyons pas trop un râleur français 🙂 ), quand le vent, qui amène aussi le froid, se lève, la ville est comme nettoyée de tous ses miasmes et nous avons droit à des journées d’une clarté presque aveuglante.
J’ai profité d’un de ces jours si clairs et tellement bleu pour aller en excursion bien loin de chez moi, à plus de trente kilomètres (tout en restant dans l’enceinte de la capitale, en ces jours de fébrilité face au XXe Congrès du PCC qui doit se tenir à partir du 16 octobre, il ne fait pas bon sortir de la ville, certains collègues sont restés bloqués plusieurs jours en raison d’un pop-up qui leur interdisait d’acheter un billet de train, d’avion et même de se déplacer librement), pour aller rendre visite à un temple dont on m’avait cité l’intérêt.
Et là, après une course en Didi (le taxi et Uber réunis local), qui m’a fait croiser notamment ces immeubles délaissés par un programme immobilier en panne, tel que nous en croisons de plus en plus, l’émerveillement…
L’entrée nous montre un portique de facture assez classique, ne serait-ce l’échappée sur cette montagne et ce ciel si beaux.
Il faut ensuite cheminer via un marché où vous pouvez acquérir des objets souvenir. Il était bien désert quand je l’ai traversé.
Fondé en 307 Ap. JC, ce temple bouddhiste est le plus ancien de la capitale, et un dicton local dit que ce temple a été construit en premier et qu’ensuite ce fut le tour de Pékin. Il a été reconstruit maintes fois, tout en gardant sa configuration d’origine. Son nom actuel (il en a changé plusieurs fois, résilience du patrimoine ici, qui change de forme et de nom au gré des époques) fait allusion à une pièce d’eau et à un arbre chinois qui produit des fruits comparables aux mûres.
Son intérêt majeur vient de sa situation, il est sis dans les montagnes, entouré de neuf pics, qui sont « comme un dragon jouant avec une perle » disait le carton d’introduction, je trouve l’image très belle.
A partir de ce moment, j’ai eu l’impression de naviguer dans un univers à la beauté inédite. Comment vous dire la petite morsure du froid, le vent qui faisait chanter les arbres, le soleil qui jouait à cache-cache dans les ramures, le bleu du ciel partout comme une illumination en surplomb, tout cela m’accompagnait à la rencontre de ces édifices immuables et de ces arbres ancestraux. 很舒服也很开心, comme on dirait en chinois (enfin, j’espère, je n’en suis qu’à HSK3).
Voici le premier pavillon que je visite, il est sobre et se cacherait presque derrière les arbres, comme timide, bien qu’il abrite des divinités bien guerrières, prêtes à en découdre.

Le deuxième édifice dans la ligne centrale du temple, dit Mahavira, soit « grand héros » ou « grand courage », présente la particularité d’un double toit qui lui donne une allure vraiment imposante.

Et puis voici dans la cour suivante « L’arbre empereur », un Gingko Biloba de plus de 1400 ans, toujours droit et fier d’abriter sous ses frondaisons les pèlerins qui viennent lui rendre visite. J’ai longtemps admiré cet ancêtre-arbre, encore bien vert, dans tout le bruissement argenté de ses branches et feuilles.
Juste à côté, je croise un portefaix, ce que je n’avais jamais vu ici, la plupart des transports de biens et marchandises s’effectuant sur des avatars de deux ou trois roues. Il est vrai que la géographie du temple ne doit pas permettre ces facilités.
Le deuxième arbre emblématique du lieu est un arbre à souhaits (白事如意树), qui se compose en fait de deux arbres, un cyprès plus tellement vif, auquel s’est étroitement mêlé un Kaki, dont les fruits oranges prennent des reflets d’or dans le soleil de l’automne.
Il paraît que si l’on touche cet arbre en faisant un voeu, il deviendra réalité. Avec les barrières érigées pour protéger cette alliance arboricole si étrange, et c’est bien, je n’ai pas pu passer à l’acte.
Je continue à cheminer de temple en temple, gravissant des escaliers qui me mènent toujours plus haut vers le ciel.
Et le paysage se fait de plus en plus beau, avec ces montagnes à l’horizon 风景越来越票亮.

Je continue mon ascension vers les temples supérieurs, dont celui bien poétique du « Roi Dragon », qui abrite un poisson de pierre en devanture.
Cet étrange poisson est un peu mystérieux, certains font remonter son origine à une météorite, ce qui lui donnerait cet alliage particulier de métal et de pierre. Il aurait sauvé de la sécheresse bien des provinces en Chine à l’époque de l’Empereur de Jade (divinité taoïste originelle) et fait maintenant l’objet d’un vrai culte.
Me voilà sur la plate-forme la plus élevée de ce lieu sacré. La vue est tout simplement magnifique, je suis restée un moment à la contempler, la course erratique des nuages dans l’azur, le léger vent qui faisait bruire les pins et les objets votifs, les silhouettes des montagnes découpées à l’horizon, un moment de grâce.

Au centre de cette plate-forme, la plus haute du temple, se trouve l’édifice Manjusri, qui était la résidence de l’abbé (je ne sais si c’est la bonne appellation). C’est un bon choix, car il fait face à toute cette éternité de nature, montagnes, arbres et ciel.
En redescendant, je continue à voir ces horizons immenses où les nuages jouent au-dessus des toits.

Et puis, cette dagoba blanche, pareille à celle qui joue la sentinelle au-dessus des lacs dans le centre de la capitale, que je croise par hasard (car le site est finalement immense). Rencognée entre deux temples, elle a l’air presque modeste et esseulée dans sa blancheur.
Je tombe ensuite sur un presque Temple du Ciel, Leng Yantan, un des lieux les plus sacrés du temple, où se faisaient d’importantes célébrations. Bâti au XVIIIe siècle, il a été entièrement rénové en 1971 parce qu’il était trop vieux (sic) – nous mesurons ici la grande différence entre la Chine et l’Europe dans l’appréhension de la notion de patrimoine.
Je vous livre ici ces fractales de portes, vues lors de mon périple, que j’ai bien aimé.
Il me faut également faire mention de ce pavillon spécial, dit de la coupe flottante. Il est recouvert de tuiles vertes très représentatives des temples chinois. Sa particularité est le sol de marbre excavé en forme de dragon pour laisser un cours d’eau le traverser.
Un jeu traditionnel chinois consistait à placer une coupe de vin sur ces méandres et lorsque la coupe était bloquée par un des coudes, à boire le vin en récitant un poème (une version ancienne des cérémonies actuelles autour du baijiu ?).
En redescendant vers l’est, je croise encore un temple bien beau dans le soleil qui décline et le ciel qui a décidé de rester à l’optimum.
Dans la cour, encore un de ces arbres majestueux, tordu par le temps qui passe et honoré par bien des objets votifs.
Je partage avec vous cette photo, que j’ai intitulé « photo de la maison du gardien », j’ai imaginé sans peine l’un de ces travailleurs croisés lors de ma visite habiter cette humble et coquette demeure.

Et pour finir, je suis invitée à descendre sous terre pour voir un temple dans lequel des divinités féminines attendent patiemment les fidèles.
Je repars l’esprit apaisé et empli de toute cette beauté que je viens de croiser.
FB
Cet arbre millénaire à peut être croisé la route du Juge Dee, car ces temples m’évoquent les rois célestes et autres féeriques intrigues cinématographiques.
https://letourdecran.wordpress.com/2020/10/11/detective-dee-la-legende-des-rois-celestes/
C’est absolument magnifique. Encore mille merci de partager ces merveilles .