Chine – Grottes de Dazu 大足石刻(2022)

Lors de mon voyage à Chongqing (voir article sur le sujet), j’avais décidé de m’offrir une escapade aux Grottes de Dazu, inscrites au Patrimoine de l’UNESCO depuis 1999, que j’avais trouvées par hasard (aucune mention dans les guides que je possède). Situé dans le Sichuan, entre Chengdu et Chongqing, le site abrite pas moins d’un million de figures de Bouddha sculptées à même la roche entre le IXe et le XIIIe siècle, réparties sur cinq montagnes, Baoding, Beishan, Nanshan, Shizhuan et Shimen. Seules les deux premières sont ouvertes au public car elles abritent les sculptures les mieux conservées (je n’ai pas compris si un programme de réhabilitation des autres était en cours).

Le nom Dazu pourrait signifier littéralement « Grand pied », mais en fait il veut dire « Bonne récolte et abondance », d’après le nom de la rivière qui coule aux alentours. Mystère jubilatoire de la langue… Je ne sais pas si je préfère l’appellation littérale ou celle qui est hyperbolique.

Je commence mon périple par la montagne Baoding (宝顶山), là où un moine, Zhao Zhifeng, a dédié sa vie, aidé par bien des disciples, au XIIe et XIIIe siècle à sculpter la pierre pour nous livrer cet ensemble unique que je vais vous montrer. J’ai compris que c’était pour lui un peu comme le chemin de Damas de Saint-Pierre, une tentative presque surhumaine de rendre hommage à Bouddha pour enfin trouver sa voie. Mon guide m’a dit qu’il avait fallu 80 ans pour venir à bout de cette immense oeuvre. Je veux bien le croire… L’invasion mongole du XIIIe siècle n’a pas permis aux fidèles sculpteurs de terminer leur travail, bien qu’il soit déjà très abouti. Il faut noter également que nous sommes dans le syncrétisme, Bouddhisme, Taoïsme et Confucianisme se mêlent ici sans barrière, un bel ouvrage oecuménique.

L’endroit, bien reculé, est resté à l’abri de la Révolution Culturelle et de toutes ses destructions, quel bonheur ! Il y a bien eu des tentatives de restauration un peu brutales dans les années 1990, qui consistaient notamment à peindre les statues alors qu’elles ne l’étaient pas à l’origine. L’UNESCO a alors menacé de remettre en jeu le classement au patrimoine mondial et le peinturlurage s’est arrêté.

L’entrée, par une chaleur qui me fait ruisseler sur place, me rappelle le site d’Angkor au Cambodge, avec toute cette végétation luxuriante où se fondent ces vieilles pierres, de la même couleur que celle des sites cambodgiens. J’ai vraiment l’impression de voyager ailleurs, enfin les vacances !

C’est un saisissement qui me prend, à la vue des premières sculptures qui relatent la vie d’un moine bouddhiste, Liu Benzun et ses pratiques d’ascétisme ; même prévenue, je ne m’attendais pas à tant de beauté, toutes ces figures à la fois tellement vivantes et muettes, abritées dans leurs niches de roche avec le ciel en aplomb.

Notons ici que les « soi-disant » pratiques d’ascétisme s’apparentent à la représentation de l’enfer que nous voyons en Occident dans la peinture religieuse des siècles passés. Correspondances des civilisations.

Une des grottes suivantes nous amène au paradis bouddhiste, avec dans le registre inférieur, les âmes des humains, représentées par des enfants, qui renaissent à cette vie ultérieure sous l’oeil bienveillant des divinités de l’au-delà. J’adore ces sourires immuables qui ont traversé le temps, comme en suspens, pour continuer à rassurer les générations futures en leur offrant de la paix et de la joie.

Ces figures, à la fois consolatrices et illuminées parce qu’elles ont trouvé la voie, se rencontrent dans bien des religions, voilà par exemple un ange « catholique », dit « L’Ange au sourire » que vous pouvez admirer en façade de la Cathédrale de Reims (je vous encourage à y faire un tour). Perméabilité des mouvements religieux et des civilisations, qui visent finalement toutes au même but.

Une âme enfant près du Bouddha
Une autre âme enfant renaissant dans un lotus, j’adore…

La grotte suivante a pour motif la piété et l’amour filiaux, autour de l’histoire d’un humain, Sakyamuni (fondateur du Bouddhisme), qui portait son père et sa mère dans deux paniers sur ses épaules, tout en mendiant et en les nourrissant avant de penser à lui-même.

A la mort de son père, il a porté sur ses épaules le cercueil, comme l’avait fait le Bouddha avant lui, ce dernier a été touché de ce geste, s’est reconnu en lui et l’a béni.

Bouddha en bénédiction
Image en apesanteur dans le bleu du ciel d’une extrémité de la grotte

Vient ensuite la grotte du roi paon Sutra, belle simplement. Nous nous demandons si l’oiseau ne va pas s’envoler pour rejoindre ce ciel d’azur, il est tellement tentant.

Jouxtant le Bouddha au paon, une immense sculpture de 31 mètres de long sur 5 mètres de haut représente le Bouddha endormi en train de mourir, avec le cortège funèbre qui l’accompagne. C’est une splendeur absolue, je serai bien restée longtemps à veiller cette divinité à mi-chemin entre mort et vie, j’aurais fait partie des accompagnants de ce cortège muet qui l’escortait vers l’au-delà simplement dans l’espoir de récolter un peu de sa beauté immortelle.

Il me fallait cependant reprendre ma route, malgré un soleil de plomb, pour aller à la rencontre d’autres splendeurs, telle cette statue d’Avalokitesvara, un avatar de Bouddha, avec ses 1007 mains d’or (elles ont été comptées), toutes pourvues d’un oeil, abritée dans une niche de presque huit mètres de haut. En Chine, son nom est 观音, Guanyin, la déesse du pardon, qui littéralement entend et voit ceux qui souffrent. A l’instar d’un paon, elle étend ses mille capteurs sur le monde pour mieux l’entourer de sa compassion.

Je continue ma route entourée de cette nature dépaysante, je rend hommage aux grands arbres, résilients dans la chaleur ambiante, qui nous offrent leur ombre et le frémissement de leurs feuilles.

J’arrive ensuite au Temple Shengshou, construit par le même moine, maintenant peuplé de bâtiments des époques Ming et Qing. Il fait bon se promener dans ces cours en gardant un oeil sur ce ciel cobalt et les nuages qui le parcourent, tout en admirant la magnificence du lieu, tous ces bois gravés, ces arbres et plantes luxuriantes qui rendent ces architectures si belles.

L’après-midi est consacré à la montagne Beishan (北山, soit la montagne du nord), où les sculptures sont bien plus anciennes, datant de l’époque des Tang et des Song (VIIe au XIIIe siècles). Ici, elles sont enfermées dans des grottes, là où les précédentes étaient gravées à même les falaises. Les touristes, qui n’étaient déjà pas très nombreux sur le site précédent, se sont fait ici très rares ; le site est tout à nous, tant mieux, car il en faut, du temps, pour essayer de découvrir toutes ces figures du passé. Si elles n’ont pas la taille imposante des précédentes, elles sont tout aussi spectaculaires.

Vision d’ensemble d’une partie du site

Ici, un Avalokitesvara aux mille bras et mille yeux, qui voit tout et protège tout le monde.

892-895 Ap. JC
En détail, un esprit qui surplombe la divinité

Les trois Bouddhas, celui du passé, celui du présent et celui du futur. Une bien belle métaphore du temps qui passe et enveloppe les Humains.

899 Ap. JC

Dans une des niches, je croise Hariti, une déesse ogre, qui enlevait et mangeait les enfants, convertie après avoir rencontré Bouddha, jusqu’à devenir la déesse protectrice de l’enfance (une vraie reconversion professionnelle, avouons-le !).

960-1279 Ap. JC

Cet « Avalokitesvara qui regarde le reflet de la lune dans l’eau » me laisse aussi pensive que lui, perdue dans sa beauté, essayant de graver en moi la délicatesse de ses traits si vivants.

1131-1162 Ap. JC

Je croise encore une fois le Roi Paon, entouré de près de mille statues toutes à sa dévotion. Il a l’air triomphant et serein.

1126 Ap. JC

Et puis, je vous met en partage d’autres niches que j’ai rencontrées sans plus de précision. Mais la beauté se suffit à elle-même.

Cette belle dame bien sûre d’elle
Les divinités du jour et de la nuit

Sur le chemin du retour, la tête emplie de ces nobles figures du passé, je suis ramenée à la vie d’aujourd’hui en croisant ce monument nationaliste sis au creux d’un rond-point.

Une excursion que je n’oublierai pas.

FB