Enfin le voilà, cet objet technologique hors-norme, excommunié par bien des médias occidentaux, ce symbole de l’industrialisation à outrance de la Chine sans respect de l’environnement. Oui, je veux parler du Barrage des Trois Gorges qui régule le Yang Tsé (长江, « Grand Fleuve » en chinois).
C’est le plus grand barrage du monde, les chiffres qui l’escortent donnent le tournis, 27 millions de mètres cube de béton pour le construire, 180 milliards de yuans (soit 25 milliards d’euros) investis, 2335 mètres de long et 185 mètres de haut, fort de 34 turbines qui délivrent plus de 111 TWh d’électricité par an (à titre de comparaison, la plus puissante centrale nucléaire au monde, celle de Kashiwasaki-Kariwa au Japon délivre à peine plus de 33 TwH d’électricité par an), bref un ouvrage géant qui est venu bousculer tout l’environnement ici.
Le projet a maturé longtemps, il avait été proposé par Sun Yat Sen dans son livre « Plan général de la fondation de l’Etat » (建国方略) il y a presque cent ans en 1924, il a été finalement approuvé en avril 1992 par L’Assemblée nationale populaire. Les travaux ont démarré en 1994 et le barrage a été mis en service progressivement entre 2003 et 2012.
Je sais que je ne suis pas tendance, dans le « mainstream » en disant cela, mais je suis fascinée depuis longtemps par ces ouvrages industriels improbables ; j’ai eu la chance d’évoluer dans le nucléaire et je dois dire que visiter une centrale est un moment impressionnant, où nous voyons à l’oeuvre tout l’art des bâtisseurs et ingénieurs. Si je pouvais, j’oserai un parallèle avec les cathédrales ou autres monuments qui nous laissent sans voix de par l’ingéniosité et les efforts de tous ces gens qui ont oeuvré à leur construction (il existe une ferveur parallèle entre ces bâtisseurs dévoués à Dieu dans les temps anciens et ces ingénieurs dévoués à la science de nos temps modernes). Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec moi, mais cela ne fera pas changer mon ressenti.
Bref, c’était pour moi un moment vraiment important, le clou de mon voyage ici, voir ce barrage tellement iconique.
J’ai donc suivi le guide qui présidait à l’excursion du jour, dans ma croisière (voir articles précédents), pour atteindre en bus le site. Et là, gros choc de chaleur, inédit, ressenti 48 degrés, toutes les personnes de mon équipe au bord de la déshydratation, au point de se réfugier dans un magasin climatisé.
Il faut que je fasse ici une incise, dans le bus qui nous amenait vers le barrage, le guide a demandé au groupe (en chinois, mais j’ai compris le principal), de veiller sur moi, car j’étais la seule étrangère. Je me suis retrouvée ensuite prise en charge, de manière très gentille et sans exagération. Merci à tous.
Sous ce soleil ardent qui m’a amenée à déployer le même parapluie/parasoleil que mes congénères et à engloutir des litres d’eau, je me suis pourtant aventurée à prendre quelques clichés depuis cette plate-forme ardente (je ne trouve pas d’autre mot, vu la température).

Notre guide ayant estimé qu’il faisait vraiment trop chaud, nous sommes descendus pour prendre un bus qui devait nous sauver de cette atmosphère infernale. Au passage, nous avons frôlé l’intérieur du barrage, avec ses installations industrielles, un peu mystérieuses.
Et puis, moi qui pensait avec un peu de tristesse que notre odyssée de touristes s’arrêtait là, j’ai été surprise et ravie de voir qu’on nous amenait plus près du barrage. Enfin, nous allions l’approcher, ce géant de béton, si impressionnant dans la beauté des nuages qui passaient.

Notre aventure ne s’arrêtait pas là, l’après-midi, nous sommes repartis pour passer l’écluse du barrage en bateau.
Je veux vous livrer ici quelques images de notre navigation, pour vous montrer comment les ponts et les montagnes rencontrent les nuages.
La voilà, cette écluse, par laquelle nous allons passer pour rejoindre l’autre côté du barrage, un ouvrage d’acier et de béton qui nous fait sentir tout petits.
Etre hissés par tout cet outillage mécanique est un moment incroyable, qui ne laisse pas indifférents mes compagnons de voyage, chacun essaye (sans succès) de capturer le mouvement ascendant qui emporte notre bateau à l’aide de son smartphone. Moi, je ne fais (presque) que regarder le temps qui passe.
Arrivés sur le niveau supérieur, le bateau libéré reprend le cours de sa navigation sur l’eau et nous sommes accueillis par des ciels de toute beauté, je les ai longtemps regardé se transformer en crépuscule lors de notre chemin de retour.
Non, je ne vais pas m’arrêter là dans mon article, après vous avoir emmenés dans mon voyage, il faut voir l’envers du décor. La construction de ce barrage a fait plus d’un million de déplacés (la Chine en reconnaît un million, certains médias occidentaux parlent de près de deux millions), qui ont perdu leur maison (et souvent leur travail/source de revenu) devant la montée des eaux, parfois sur 40 à 45 mètres de haut. Bien des tragédies individuelles, voire collectives ont ponctué l’érection de ce géant et je sais que mon émerveillement a quelque chose d’un peu coupable.
Je suis lucide sur ce point, et je voudrais vous livrer ces images de propagande que j’ai pu voir dans le Musée des Trois Gorges à Chongqing, qui racontait (en chinois le plus souvent) l’épopée de la construction du barrage, et montrait (uniquement) les bénéfices de ce projet (les légendes sont celles issues des cartons du musée).


La Chine est un pays qui expérimente bien après nous cette étape d’industrialisation ; nous avons oublié les ravages de l’environnement de la deuxième moitié du XIXe siècle et du XXe siècle dans nos contrées, lorsque nous avons mis en place toutes ces nouvelles industries permises par la découverte de l’électricité et du gaz, nous avons la mémoire courte.
Je pense que c’est une chose à garder en tête, je ne veux pas racheter tous ces déplacements de population (auxquels nous avons présidé nous aussi, pensez au Barrage de l’Aigle en Corrèze, construit dans les années 1941-1945), qui se sont fait ici dans les rudes conditions qui sont l’apanage de ce pays. Simplement nuancer un peu notre jugement.
Dans tous les cas, c’était une excursion vraiment édifiante.
FB
Chouette, une nouvelle visite qui ne laisse pas de béton… 🙂
Merci ! Bien vu !