Chine – A la rencontre de l’ethnie Tujia 土家 (2022)

Je vais vous conter ici une excursion en marge du Yang Tsé Kiang (张江, le long fleuve en chinois), où je faisais une croisière à la chinoise (pour ceux qui auraient manqué les épisodes précédents, comme on disait dans le temps, voir mon article sur ce blog).

Je dirai ici, en forme de parenthèse, que je questionne le concept d’authenticité, mis en avant par bien des Occidentaux quand ils voyagent en Chine. Il faudrait aller à la rencontre des peuples au fin fond des contrées restées « typiques », se déplacer seul, sans un troupeau de natifs/étrangers, prendre les chemins de traverse plutôt que les autoroutes, pour trouver des endroits sans personne, « dans leur jus » où vous aurez l’impression d’être le seul à déguster tel ou tel mets, ou à découvrir tel ou tel paysage. C’est une conception qui en vaut une autre, je considère pour ma part que le voyage que je viens de faire au milieu de tous ces Chinois, souvent de classe moyenne (/supérieure) est une aventure authentique, j’ai vu comment les natifs voyagent et quelle est leur appréhension des sites touristiques.

Après un petit déjeuner pris tôt le matin (il est servi de 7 h à 8 h), composé d’une soupe de nouilles et de légumes pimentés, j’ai suivi le flot d’un groupe de Chinois, celui auquel on m’avait affectée au sortir du bateau, conduit par une guide nantie d’un bâton télescopique avec un petit ours rose (j’ai compris plus tard que c’était indispensable pour la reconnaître dans le flux de touristes qui avaient envahi le lieu dès potron-minet), j’ai rejoint cet affluent du grand fleuve, où j’ai découvert la minorité Tujia. Forte de huit millions d’habitants, cette ethnie tente, comme toutes les autres de faire vivre ses rites, rituels, langue et habitudes alimentaires, bref, tout ce qui fait la différence de sa culture et de son essence.

A peine débarquée du bus, je vois toute cette nature échevelée, presque subtropicale, qui ne se porte pas si mal en dépit de la chaleur intense (à 9 h du matin il fait déjà 33°C) et fait un bel encadrement à ces anciens bâtiments rénovés.

Le paysage va s’avérer merveilleux, tout en déclinaison de verts, avec l’écrin des montagnes alentour. Et toujours cet impitoyable et magnifique ciel cobalt.

Même les arbres semblent chercher la fraîcheur de l’eau

Nous sommes accueillis par un chant exécuté par des jeunes filles en tenue traditionnelle.

Puis une danse sur un gué, de belle allure avec ces ombrelles. Et le long de notre parcours, des « reconstitutions » un peu magnifiées du quotidien de l’ethnie.

Une bien esthétique danse avec ombrelles sur un gué
Une mise en scène d’un bateau de pêcheurs qui quitte la rive

Après une promenade sur un chemin bien balisé le long de l’affluent, nous atteignons le climax de notre aventure en pays Tujia, une pièce de théâtre où il est question de fille à marier. Les smartphones n’en peuvent plus de filmer ou de photographier. Je pense à ces pauvres comédiens, obligés de mettre en scène leur culture plusieurs fois par jour devant des touristes qui ne pensent qu’à prendre des clichés pour montrer qu’ils étaient là…

Notons que ce singe, rencontré lors de notre ascension a eu au moins autant de succès que la pièce que je viens de mentionner.

Et lors de notre descente, juste avant de rallier notre point de rassemblement, ces jeunes filles nous incitaient à acheter les clichés pris par les photographes professionnels qui avaient jalonné notre route.

Il y a actuellement 56 ethnies dans ce pays où les Han 汉 représentent 92% de la population, soit plus de 100 millions d’habitants appartenant à une autre ethnie (une France et demie) un nombre qui force le respect en apparence, mais qui n’est qu’un fétu de paille ici dans l’immensité du milliard 400 millions d’habitants de la Chine (le saviez-vous ? L’ethnie est renseignée sur les cartes d’identité en Chine). Ici la tendance est à l’uniformisation ; de même que vous retrouvez partout dans le pays les mêmes gares, les mêmes ponts, les mêmes immeubles, comme s’il fallait faire disparaître les aspérités de toutes sortes, pour tout fondre, constructions, coutumes et autres dans le même moule. L’Occident s’est ému depuis quelque temps sur le sort des Ouïgours du Xingjiang, car le processus s’est fait quelque peu musclé dans ce cas, mais la tendance est là depuis longtemps (je vous renvoie à ce très intéressant article du Temps publié en octobre 2020 : https://www.letemps.ch/monde/grand-virage-chine-face-minorites).

La guide qui nous escortait dans notre visite était issue de cette minorité Tujia et me racontait comment, après la construction de ce barrage immense des Trois gorges, la majorité des siens avait été relocalisée dans de grands immeubles avec tout le confort moderne alentour, écoles (chinoises, ce qui va favoriser l’intégration en forme d’embrigadement), eau courante, tout à l’égout et autres. Comme une sorte de reclassement social en forme d’inclusion dans la grande Chine. Certes, il avait fallu abandonner les belles maisons de bois accrochées sur les versants de la montagne, accepter de mettre en sourdine certains rituels ancestraux, mais le prix à payer en valait la peine, disait elle presque avec fierté. Et puis, cette reconstitution (à laquelle je venais d’assister) permettait de garder les traditions en vie.

J’ai pourtant été saisie d’une sorte de malaise durant cette excursion. Voir ces gens se mettre en scène de manière folklorique devant ces touristes pour qui, finalement, il ne s’agissait que d’un divertissement leur permettant de prendre photos et vidéos ; même si pour les Tujia, c’est peut-être une manière de montrer leur différence, ils le font en forme de spectacle dans un environnement balisé et cadré. Vous me pardonnerez -ou pas-, mais j’ai pensé à un zoo. Se fait jour ici un double mouvement ; d’un côté, il faut assimiler à tout prix les différences et de l’autre, les faire revivre en forme de Disneyland.

Très intéressante visite, pour la beauté des paysages mais surtout pour ce que cela m’a donné à penser.

FB