L’ancienne ville de Fenghuang (Phénix) est la dernière étape de notre voyage dans le Hunan, cette province du centre de la Chine. Bâtie en 1704, elle garde quelque chose de très authentique (dans ce pays qui modernise à tout va) et a d’ailleurs été proposée à l’UNESCO pour inscription au patrimoine en 2008. Ici les habitants se sont retirés de la partie ancienne pour aller habiter dans une nouvelle ville que nous ne verrons pas ; cela en fait une ville musée, nous le regretterions sous nos cieux, ici c’est une assurance de préservation du patrimoine appréciable, quand nous voyons comment les autochtones peuvent défigurer des villes entières pour les moderniser.
Nous sommes arrivés le soir tombant et c’est vraiment ce qu’il faut faire. Car les illuminations sont vraiment belles (en fait je triche, je suis allée me coucher rapidement, je n’ai pas vu ces splendeurs mais mes co-voyageurs m’ont raconté).
La ville s’organise autour de la rivière Tuojiang (沱江镇), qui coule sur plus de 650 kilomètres au travers de la province du Sichuan, avant de se jeter dans le fleuve Yangtze (l’ancien « Fleuve bleu »). Elle accompagne tous ces bâtiments de sa beauté fluviale, toutes ces maisons qui se sont nichées contre elle en échange de la fraîcheur de l’eau et de déplacements plus rapides sur son cours.
Ici, le peuplement n’est plus majoritairement « Han » (l’ethnie majoritaire en Chine à 92%) mais « Miao » (le peuple qui a découvert comment faire pousser du riz, ils en tirent leur nom, « Miao », 苗 signifiant « petite pousse ») et « Tujia » (土家族, peuple de la terre, en traduction libre). C’est d’ailleurs ici que se trouve l’épicentre de la révolte du peuple Miao contre les Mandchous au milieu du XIXe siècle, violemment réprimée (toute l’histoire de la Chine réside ici, comment absorber les minorités dans cet ensemble immense équivalent à l’Europe, vous connaissez les dernières vicissitudes avec ce qui se passe dans le Xinjiang). Ainsi, de la vie de ces ethnies ici, il ne reste rien de distinctif que j’ai pu apercevoir, à part le folklore -mais je suis restée bien peu de temps ; nous verrons bien des boutiques nous proposer leurs costumes, mais sans vraiment d’authenticité.
Et aussi de jeunes femmes, les mêmes que dans les endroits de Pékin chargés d’histoire, la Cité interdite, le Parc de la grande vue et autres lieux, qui se mettent en scène dans ces costumes pour mieux poster sur les réseaux sociaux leur image idéale. Une demande de réassurance qui commence à faire florès en Europe mais qui est ici portée à son acmé.
Le nom de Phénix convient tellement bien à cette ville, elle jette tous ses feux le soir et renaît le matin, fraîche et belle. Même si ce n’est pas l’étymologie officielle, cette image me plaît. J’ai découvert les lieux dans la beauté matinale de ce ciel bleu, malgré la chaleur étouffante et elle m’a séduite tout de suite.
Magnificence de l’eau qui reflète le vert de cette nature en forme de jungle (nous avons l’impression que cette dernière va avaler la ville bientôt), bleu incandescent du ciel à peine zébré de nuages qui encadrent ces très belles maisons de bois construites sur pilotis le long du cours d’eau.
C’est une Venise chinoise dans laquelle nous évoluons, bien sûr les bateaux ont d’autres formes que les gondoles, la nature est bien plus luxuriante qu’en Italie, mais les sensations se ressemblent.

Les bateaux arpentent l’espace fluvial, ils sont majoritairement dédiés aux touristes, mais ont belle allure.

Déambuler dans ces rues anciennes nous amène un plaisir que nous ne connaissons plus à Pékin, celui de la cuisine de rue. C’est un plaisir que j’avais expérimenté en Asie, à Singapour ou à Kuala-Lumpur, toutes ces échoppes ouvertes qui vous vendent de la nourriture souvent excellente. En Chine, dès que nous sortons/pouvons sortir de Pékin, nous retrouvons cette simplicité des mets préparés avec des moyens limités, mais tellement savoureux.
Nous croisons ces travailleurs du ravitaillement qui font que tout fonctionne bien ici, en pourvoyant aux nécessités du commerce. Je parle d’eux comme des gens de l’ombre, car ici les employés de service sont presque invisibles. Comme dans mes précédents articles, je voulais leur rendre hommage, la Chine ne serait pas ce qu’elle est sans ces personnes méritantes qui sont souvent méprisées par les gens qui ont de l’argent (je ne parle pas des étrangers ici, je fais allusion aux locaux).
Revenons à notre découverte. La ville est entourée de remparts anciens aux tours imposantes, qui sont bien belles dans le bleu du ciel et ne font même presque plus peur. Nous croisons des gens aux parapluies transformés en parasoleil, tellement il est essentiel de garder une peau claire, la peau foncée renvoyant à ces travailleurs manuels dont je vous ai donné un aperçu juste avant. C’est donc un indice de classe, comme sous nos latitudes où jusqu’au milieu du XXe siècle, laisser sa peau devenir brune était impensable, comme une déchéance. Ici, nous sommes comme presque un siècle en arrière dans cette conception, alors que nous avons franchi cette limite sociale et que maintenant, bronzer ou ne pas bronzer est devenu une question de santé. Je n’irai pas plus loin sur le sujet, je vous renvoie à un autre article sur mon blog : https://rue2provence.com/2021/06/01/pekin-soleil-太阳-2021/.

La ville est bien agréable à arpenter, elle nous offre à voir toute son architecture ancienne dans des rues où il ferait bon vivre. Beauté des toits de tuile noire presque riante sous le ciel azur, gaieté des fenêtres ajourées.
Les rues, qui ouvrent sur ce ciel merveilleux, nous invitent à la déambulation ; beaucoup de bois ici, souvent ouvragé.
Si nous ne sommes pas seuls, les groupes sont quand même peu nombreux, c’est comme un plaisir secret d’arpenter cette ville sans presque personne.
Notre promenade nous ramène vite vers la rivière et nous allons même prendre un bateau pour mieux apprécier la ville. Les maisons traditionnelles qui bordent l’eau sont parfois sur pilotis, miracle d’apesanteur pour ces logements qui semblent suspendus au-dessus de quelques bâtons de bois.
Avec la pluie qui, la veille, a lavé le ciel et nous a fait -à peine- une atmosphère plus clémente (il fait quand même déjà 30° C à 11 h du matin), nous redécouvrons sous ce ciel bleu limpide parcouru de nuages la beauté sauvage de la nature-jungle qui surplombe cette superbe ville.

L’eau absolument et définitivement verte, comme si elle avait choisi le camp des arbres, s’oppose au bleu du ciel, elle gouverne tout ici, les bateaux, les maisons qui la regardent passer avec flegme (et parfois un peu de hauteur m’a t-il semblé, mais je m’aventure trop avant dans la psychologie du bâti, je pense 🙂 ).




Et puis ce pont, merveilleux dans son manteau de nuages, qui le rendent léger, comme près de s’envoler pour d’autres horizons.

Une vraie découverte, je ne peux que recommander cette promenade.
FB