Inclassables : site adopteunmec.com

adopteunmec-2

Excusez la qualité de la photo, prise à l’arrache dans le métro

Cette image, aperçue depuis début janvier dans le métro et les abribus parisiens, m’a donné envie d’écrire quelque chose sur le sujet.

Adopteunmec.com est un site de rencontres sur internet, qui est devenu a priori le premier site pour la fréquentation en 2016. Petit frère de Meetic,  il a profité de la grande réussite de ce dernier, qui est parvenu à rendre socialement neutre le fait de fréquenter des sites de ce type. Je ne vous ferai pas le couplet sur le délitement des liens sociaux qui fait que plus personne ne rencontre plus personne dans la vraie vie… Il suffit de lire quelques romans anglais féminins du XIXe siècle (Elizabeth Gaskell, les soeurs Brontë, Jane Austen) pour voir  que c’était déjà le cas, dans des sociétés fermées comme alors. Nous aurions pu penser que la démocratisation sociale, la concentration urbaine et la mobilité accrue des individus auraient multiplié ces occasions. Et bien a priori non…

Soulignons une première caractéristique de ce type d’échanges, qui rejoint la vague de fond qu’est l’utilisation des moyens numériques. C’est au travers d’internet (ordinateur, tablette et surtout smartphone) que nous dialoguons avec notre semblable, au moins autant qu’avec les gens en chair et en os qui nous entourent dans la vraie vie.

Autre tendance sociétale intégrée par ce site, qu’il convient de souligner, l’esprit de consommation qui finit par gagner tout, y compris comme nous le voyons ici les échanges amoureux (1). Si les autres projets de rencontre semblaient oublier cet aspect-là (…) adopteunmec.com affiche le principe de consommation comme l’un de ses piliers. Il n’y a qu’à aller voir sur leur site, où des accroches du type « Elles sont dans la boutique », « Nouvelle collection », « Produits régionaux », ou, plus terre à terre encore « Tombé du camion », collent absolument aux affichages commerciaux de notre époque (en attendant les « soldes » ? 😉 ). Plus flagrant encore, les notes attribuées aux « hommes/marchandises », distribuées selon les rubriques « aspect général/prise en main/innovation/facilité d’utilisation » laissent rêveurs. La notion de « commerce du sexe », qui ne désignait jusqu’alors que les relations sexuelles tarifées de la prostitution, vient de trouver une autre acception, les relations sentimentalo-sexuelles comme une transaction commerciale non tarifée. Consommation, consommation…

Si nous revenons à l’affiche, elle reflète ce que je viens de dire, en ajoutant une dimension supplémentaire, celle de la matérialité enfantine. Soit une poupée à découper, comme celles qui enchantent les petites filles en-dessous de 12 ans (et encore je suis large…) et qui permettent ici d’affubler l’homme idéal d’une combinaison de nounours rose ou d’un petit chat avec pelote de laine en accessoire ; on peut même changer sa tête si on en a le caprice. Nous sommes dans l’univers  de l’être réifié, de la Barbie que l’on customise comme on le souhaite et qui par essence doit correspondre complètement à nos désirs, puisque c’est nous qui lui donnons voix et volonté (un peu comme les enfants qui jouent avec des objets en faisant les questions et les réponses dans un dialogue unilatéral). Les possibilités d’altérité de l’homme sont ici fortement diminuées, vous le comprendrez… Et je continuerai en disant qu’à mon avis, si nous poussons plus loin ce concept de promesse d’une satisfaction entière du désir, il ne peut générer que frustration, puisque, malgré tous nos efforts, l’autre ne pourra jamais être exactement celui que nous souhaitons (j’ai l’impression d’enfiler les tautologies freudiennes comme des perles…). Enfance toute puissante, qui dès qu’elle le veut, le peut, voilà ce que l’on nous fait miroiter. Je veux un homme, et bien je le trouve, et tout de suite (notons qu’il faut répondre dans les 24 heures à certaines sollicitations sur ce site ; sous peine de laisser passer une « bonne affaire » ?). Immédiateté du désir instinctif auquel répond une phraséologie de comblement immédiat (cf. pour liker un profil, vous cliquez sur un bouton « Je veux », édifiant, non ?).

Autre élément d’éclairage, conforté par le nom du site, l’homme est ravalé ici au rang d’animal domestique. Car le vocable « adopter », qui peut concerner un humain, nous sommes d’accord, ne renvoie ici qu’à un sujet dominé, comme un chien ou un chat, mais certainement pas à un humain de libre exercice. En guise de synthèse, je risquerai le mot « doudou », à la fois une chose sur laquelle nous avons tout pouvoir, qui nous satisfait en tous points puisque nous lui donnons vie et qui représente un objet transactionnel entre nous et le monde extérieur : plutôt que de s’affronter en être adulte à un univers qui peut nous être contraire, nous sommes dans l’illusion de le maîtriser et de nous en protéger à la fois.

Enfin, pour en rajouter dans le côté « laissons nous aller à nos instincts premiers », un onglet « rivales » permet à une utilisatrice de voir avec quelles filles l’homme sur lequel elle a jeté son dévolu est en lien ; histoire d’exacerber la rivalité féminine et de déclencher des jalousies irrépressibles ? Ou, à l’instar d’une vendeuse qui vous dit dans un magasin que c’est le dernier dans votre taille, de déclencher la ruée sur l’article concerné ? Dans les deux cas, cela nous entraîne dans le registre de l’instinct premier de convoitise que ne renierait pas un enfant de cinq ans…

Ne nous étonnons pas si la clientèle du site est surtout jeune et qu’il ne s’agit pas dans la majorité des cas de trouver l’âme soeur, mais juste de se faire un plan sexe (et plus si affinité, mais cela on verra après). La nature des questions posées aux futures impétrantes laisse peu de doute à ce sujet : une catégorie « Boudoir » vous invite à préciser la nature de vos dessous, ce qui vous émoustille, vos préférences au lit et les accessoires qui vous plaisent… J’ajouterai, en forme de parenthèse, que l’invitation à renseigner le type d’alimentation, qui donne le choix entre « mange de tout », « piscivore », « végétarien », « bio » ou « végétalien » nous confirme dans la cible visée par le site, de jeunes urbains, néo-bobos, adeptes (voire accros) des nouvelles technologies de communication.

« Enfin un site où les femmes prennent les choses en main », nous dit l’en-tête du site. N’étant pas féministe mais quand même, je me dit que si l’égalité hommes/femmes passe par le fait de rabaisser les femmes à ce qu’il y a de pire dans le modèle des instincts sexuels prêtés aux hommes, nous n’aurons pas vraiment progressé collectivement sur le sujet.

Etant par ailleurs humaniste, il me déplaît fortement de voir des personnes ravalées à l’état de bien de consommation.

FB

(1) Je ne peux que vous inciter à lire (ou relire) « La société de consommation » de Jean Baudrillard, publié en 1970 et encore très actuel.